Une question de confiance...

Le soleil têtu du début d'été avait enfin cédé sa place à une nuit claire et étoilée. Dans le camp, après le repas du soir, chacun s'occupait comme il l'entendait. Discutant près du feu, trafiquant près de sa tente.

Matthias, lui, avait un peu trainé, racontant n'importe quoi à n'importe qui, distribuant des sourires freedent à qui le voulait et même à ceux qui ne le voulaient pas.
Pourtant il observait Naïma et guettait le moment où elle disparaitrait vers sa tente. Avait-elle surpris ce regard à la fois inquisiteur et subjugué? il ne le croyait pas ou alors elle le feignait parfaitement. De toute façon dès qu'il avait l'impression qu'elle pourrait poser un oeil sur lui, il n'osait plus lever les siens... alors il ne pouvait pas savoir.

Quand le moment fut venue pour la jeune femme de se retirer, Matthias s'éclipsa également de façon à l'intercepter juste avant qu'elle ne penetre dans son abris. Sa main se posa sur son bras juste un instant, juste pour la stopper. Sans enrobage il asséna:


"Viens avec moi."


Est ce qu'elle hésitait, est ce qu'elle allait prétexter quelque chose ou dire tout simplement non ?
Matthias eut un mouvement rassurant de la tête, comme s'il acquiesçait à quelque chose, le regard convaincant et ferme.
Pour prévenir toute déconvenue, il se sentit obligé de rajouter:


"Viens avec moi un instant, j'ai quelque chose à te montrer absolument."

Toute atone elle se laissa entrainer. Il la sentait comme dépourvue de volonté, il avait le sentiment que s'il relâchait la pression, elle allait s'arrêter là et y rester à jamais.

Loin derrière les tentes, on ne voyait déjà plus le feu de camp, Matthias cessa de marcher puis s'écarta doucement, suffisamment pour rendre rassurante l'injonction:


" Allonge toi et regarde bien le ciel."


Lui même s'assit et posa son menton sur ses genoux qu'il entoura de ses bras. Calme et détendu, il continua de la regarder, attendant sagement qu'elle s'exécute. Lorsqu'elle fut au sol Naïma put observer la voute criblée d'étoiles. Un ciel parfait, rien ne gâchait le spectacle.
Au milieu de cette immensité on ne pouvait que s'enfoncer et se sentir inexorablement lié à la terre.
Alors sans bouger d'un pouce, le jeune homme demanda doucement:


"Sais-tu, ange céleste, pourquoi les étoiles ne s'éteignent jamais ? ou en tout cas avant avant des millions d'années... As-tu une réponse ?"

Les secondes filaient et Naïma ne semblait pas disposée à répondre. Le jeune homme se tassa un peu plus sur lui même, rentrant le cou dans son col de chemise, un peu désespéré. Pourtant c'est d'une voix neutre qu'il répondit à sa place:


"Elles ne s'éteignent jamais parce qu'elles n'ont pas de mémoire...
Il n'y a que les souvenirs qui peuvent les ternir et je crois que c'est pareil pour nous."


Essayant de percer ses pensées, Matthias se tut.

Matthias se redressa brusquement. Etait ce des larmes qu'elle contenait ? Il se rapprocha, sourcils froncés, et, posa son pouce sur la joue pour effacer celle qui s'était échappée.

Retirant sa main mais restant tout près d'elle, il s'accouda à terre pour dire doucement:


"Nous... toi, moi, tout le monde, en fait. Tu as commencé à t'éteindre et j'ai cru que tu ne t'illuminerais plus. Pourtant un matin... Ai-je rêvé ? Aujourd'hui je sais plus. Alors... alors j'ai voulu que tu les vois."


D'un léger évasif geste de la main, Matthias désigna les étoiles.

Matthias regardait distraitement les étoiles les plus proches de l'horizon sans remarquer les silencieux sanglots de Naïma.


"On... ze ?! hahaha ! Onze ? Onze est une étrange espèce d'éphémère libellule, j'me demande comment elle a pu traverser les étangs sans qu'on lui coupe les ailes.


Désinvolture innocente qui ne pouvait que faire mal.
Le jeune homme avait répondu comme toujours du tac au tac sans voir le lien avec la conversation en cours, d'autant moins qu'il était le premier à être capable de passer d'un sujet à un autre sans transition.

Se penchant au dessus d'elle, l'air d'abord curieux, il constata à quel point les larmes avaient ruisselé. Alors avec une certaine inquiétude, il demanda stupidement:


"Mon ange... Pourquoi... ?"

Durant quelques secondes Matthias resta bouche bée.

Onze... comment n'avait-il pas pensé à ça en entendant son nom? C'était tout à fait son genre d'aller raconter, d'un air dégagé et faussement innocent, qu'ils avaient couché ensemble. Dans le même temps il était à dix mille lieues d'être capable d'imaginer une telle réaction. La notion d'"Infidèle", la distance qu'elle savait mettre, le fait qu'elle n'avait jamais eu un geste vers lui contribuaient à lui laisser croire qu'il n'était qu'un passable divertissement. Quelque chose se révolta en lui...

D'un bond souple il sauta par dessus le corps crispé pour se retrouver aplati sur le ventre en face de Naïma, la dévisageant. Un rire nerveux, presque amer, débit extrêmement rapide:


"Et c'est tout ? Tu m'évites pour ça, tu es jalouse, point. *Il déclame en citant* "Jalousie, monstre au yeux verts qui produit l'aliment dont il se nourrit.".
Haha ! Toi, jalouse? Une femme telle que toi n'a pas besoin de ce sentiment... Onze est un alter ego fragile mais toi... toi... tu existe pour me sauver c'est certain.

Et puis... qu'est ce que je devrais dire moi, hein ? Au profit de qui tu t'es éteinte ? Au détriment inquiet de qui, hum ? Avec qui es-tu partie, avec qui étais tu ces dernières lunes, Naïma ? Eugène par exemple ?"


Cruel tel un gosse qui se vengerait d'une injustice, il avait détaché les deux prénoms avec un accent étrange, comme si les prononcer lui était fastidieux.
Il n'était pas au courant mais intuitivement il sentait d'où elle venait, alors marquant ses propos il bougea juste un doigt pour pointer la croix qui pendait à son cou...

Toujours aplatit à terre, écrasé par un poids trop lourd. C'était quoi cette décharge qui irradiait du coeur pour partir vers le corps et le cerveau ? De la peur ? Un plaisir malsain de se sentir vivre en quelqu'un ? De la joie ?

Pas assez de temps pour s'en rendre seulement compte, déjà cette impulsion incontrolable qui le poussait à agir toujours immédiatement... Il courut soudain comme un deraté, se planta devant elle, tombant à genoux, ouvrant les bras pour l'empêcher de passer.

" Je ne veux pas prédire l'avenir et je peux rien promettre. Jamais je n'aurai pensé que ç'à de l'importance pour toi, ça ne devrait en avoir pour personne !!!
Faire l'amour, je peux le faire avec n'importe qui. Mais si tu me le demandais je veillerai sur ton sommeil, sur tes rêves, sur ton sourire.

Et puis Oui ! Oui, toi tu devrais être au dessus de tout ça !
Parce qu'on ne peut te comparer à personne.

Et tu te trompes, les étoiles ne veillent pas sur nous... Elles nous regardent sans pitié, sans mémoire aucune parce qu'à mon avis, on ne peut pas se raccrocher qu'aux souvenirs sans sombrer. Je ne voulais pas savoir mais tu ne m'as pas laissé le choix, j'avais bien trop peur que tu disparaisses."


Les yeux levés sur Naïma, Matthias arborait son air de gosse implorant.

Il était là, à genoux devant elle, la regardant de son air implorant de petit garçon.
Naïma était figée. Perdue.

*Et puis Oui ! Oui, toi tu devrais être au dessus de tout ça !
Parce qu'on ne peut te comparer à personne. *

La comparer à personne. Si, justement. Elle n'était pas exceptionnelle. Il la mettait sur un piédestal qu'elle ne méritait pas, qu'elle ne comprenait pas.
Cela datait-il de la fois où elle lui avait sauvé la vie ? De la fois où ils avaient partagés une intimité particulière dans la serre de Nomad's land ?

*Jamais je n'aurai pensé que ç'à de l'importance pour toi, ça ne devrait en avoir pour personne !!! *

Lui avait-elle donné l'impression d'être au-dessus des sentiments le jour où ils avaient fait l'amour dans la forêt ? Ou cette fois où après son réveil, elle l'avait rejoins, mais n'avais rien dit ?
Ou alors était-ce juste la personnalité de Matthias, qui n'accordait d'importance à rien ?

Devrait-elle l'aimer, en n'espérant en retour qu'une certaine tendresse ?
Devrait-elle l'aimer en sachant qu'il pouvait partager la couche d'une autre n'importe quand ?
Devrait-elle sentir son coeur se serrer dés qu'une femme le regarderait ?
Aurait-elle ce genre de force ? Elle en doutait.

Elle s'agenouilla face à Matthias, et lui dit doucement :

Je ne suis pas un ange au-dessus de tout, Matthias.
Je ne suis qu'une femme, comme beaucoup d'autres. Je suis comparable à beaucoup de femmes.
Et j'ai peur, Matthias. J'ai peur de te perdre dés qu'une autre femme croisera notre route.
Tu ne peux peut-être pas comprendre ça. Et je peux difficilement t'en vouloir. Mais la vérité est là.
Je t'aime. Et cela me fait peur et mal, car tu es toi.

Elle baissa la tête, rompant le contact visuel. C'est dans un murmure qu'elle dit :

Oui, j'aimerai que tu veilles mon sommeil, mes rêves et mes sourires.
Mais j'aimerai tellement que tu veilles aussi sur mon coeur.

Elle releva la tête, et replongea dans les yeux de Matthias. C'était elle, maintenant, qui avait le regard suppliant.
Elle le suppliait, encore une fois silencieusement, de lui dire à quoi s'attendre.

*Dis-moi si tu 'aimes, ou si tu ne m'aimes pas.
Dis-moi si je vais souffrir, ou si tu prendras soin de moi.
Mais dis-moi. Ne me laisse pas comme ça ...*

D'un bout de manche de chemise, le jeune homme épongea les pommettes de Naïma. Alors que sa main s'attardait en caresse sur sa joue, il appuya un baiser sur ses lèvres. Tout ça était une nouveauté pour lui. Il aurait sans doute était plus simple qu'il s'en aille voguer vers d'autres horizons. Mais au delà de la simple curiosité, une sensation de nécessité le poussa.

Un sourire discret naquit sur ses lèvres.
Une promesse inquiète peut être.
Sa main glissa dans le cou de Naïma pour s'arrêter à la naissance du sein, sur le coeur. Matthias en sonda les battements en moment puis relevant les yeux, il répondit sincèrement d'une voix exceptionnellement basse:


"J'n'ai jamais fait ça avant, il faudra m'aider un peu..."