Silence et réflexions

Une nouvelle lune s'achevait. Une lune où la jeune Onze avait été étrangement absente. Murée dans un silence inhabituel, elle n'était quasiment pas apparue, prenant ses repas à des heures tardives et dans sa tente, ne participant à aucune activité commune, délaissant tout le monde.

Les Infidèles étaient déjà partis un peu plus au Nord, laissant à Jay quelques réserves nécessaires pour la suite du voyage. D'un naturel plutôt meneur et volubile, la jeune femme paraissait cette fois-çi indifférente à l'organisation, laissant à ses compagnons le soin de tout gérer...

Deux ans. Deux ans qu'il était mort, fidèle à sa promesse. Assise dans sa tente, protégée de tout regard extérieur, Onze laissa rouler quelques larmes sur ses joues, tandis que dans le creux de sa main brillait son alliance. Il lui manquait, indéniablement.

Vivre, ne pas connaitre le remord, profiter, toujours, avant le jour fatidique où elle devrait le rejoindre. Elle aussi tiendrait parole.

Mais un sentiment diffus la tiraillait depuis quelques jours. Comme si la claque prise à IronWood n'avait pas suffit, comme si elle ne parvenait pas à étouffer ses sentiments, elle se laissait prendre au piège une nouvelle fois.
Mais alors pourquoi cette sensation de trahison ? Pourquoi s'en voulait elle autant ?
Il lui avait dit que ce serait normal, qu'elle reconstruirait sa vie, qu'il le fallait même. Carpe Diem.

Un sourire en coin se dessina alors sur les lèvres de Onze. Elle se trompait surement. Cette période était toujours dure pour elle, réveillant douloureusement le souvenir de son mari. Quoi de plus naturel alors que de tenter de pallier cette absence en s'imaginant aimer un autre...

Elle sortit enfin de sa tente, adressant à ses compagnons un large sourire...

Bah alors, qu'est ce qu'on attend ?! Les Infidèles vont festoyer sans nous si on traine !

Elle apparaissait à nouveau comme la jeune femme désinvolte et joyeuse, et le petit groupe rejoignit en quelques heures leurs compagnons.

Après quelques salutations, ils montèrent rapidement leur campement, rattrapant ainsi leur retard pour la nuit à venir...

Discrètement, Onze rejoignit la tente de Matthias. Le jeune homme était bien le seul qu'elle désirait voir, peut-être parce qu'inconsciemment elle savait qu'il lui apporterait une réponse, qu'il apaiserait enfin ses tourments.

Dans la pénombre de l'abri, elle eut du mal à distinguer ce qu'il faisait. Cela lui importait peu, lorsqu'elle lui assena :

Bonsoir Matthias. La lune m'a été pénible, alors... Est ce que je pourrai abuser de tes... services... une nouvelle fois ?

Bientôt la nuit, bientôt le repas autour du feu, bientôt le sommeil...

La nuit passée, pour la première fois de sa vie, Matthias avait trouvé ce sommeil dans les bras d'une femme. Etrange sensation pour lui que de partager sa nuit mais doux réveil sur un visage souriant.

Ce soir là chacun s'occupait de la tâche qui lui avait été attribué avant le repas. Matthias lui rangeait des affaires à l'abri de sa tente, puisque c'était celle de Naïma qu'il rejoindrait cette nuit encore. Pourrait-il s'accoutumer à la laisse ? Comprendrait-il suffisamment rapidement ce qu'il pouvait perdre ou gagner ? Pour le moment il n'en savait rien car encore eut-il fallu qu'il se pose se genre de questions.


Il sursauta, ne s'attendant pas à voir qui que ce soit. Onze... Le jeune homme s'assit nonchalamment. Il savait désormais quel genre de coup elle avait porté à Naïma.

Un sourire ambigu, un éclat de violence dans son regard masqué par l'ombre naissante mais une invitation cordiale... En effet il tendit la main pour l'inviter à s'asseoir et passa derrière elle pour esquisser un début de massage tout en lui déposant un léger baiser sous l'oreille.


"Hé bien charmante libellule ? Que s'est-il passé ? Tu as failli t'empêtrer dans un assassin filet à papillon ?"

La jeune femme le laissa faire, savourant le contact des mains masculines, soupirant légèrement. Matthias n'était certainement pas la meilleure personne pour se confier et livrer ses préoccupations, mais il était sans doute le plus à même à la comprendre, aussi se contenta-t-elle de répondre, un peu évasive :

Disons que j'pensais m'en être libérée, au moins en partie. Un filet fait de souvenirs. L'un des plus destructeurs sans doute...

Elle se retourna légèrement et déposa ses lèvres sur celle de l'homme. L'instant d'après, sa main caressait ses cheveux, puis les joues. Elle aurait aimé les premiers un peu plus longs et la peau un peu plus dure, les traits moins juvéniles. Etrange.
D'un léger mouvement de tête, elle balaya l'idée, un sourire amusé peint sur sa bouche.

Sa main se posa sur la nuque de Matthias et elle l'embrassa à nouveau, avec une certaine violence, visant en partie à contredire ses récentes réflexions. Elle lui murmura à l'oreille juste après :

Je n'ai pas envie de discuter pour le moment. Ni de jouer.

Dans les yeux de Onze, le message était clair et incitateur....

Un autre baiser. Une morsure portée à la lèvre. Les membres commencèrent à s'enlacer, les peaux à se dénuder. Ni l'un ni l'autre ne jouaient, cherchant une jouissance qui viendrait inévitablement. Un combat extatique qu'ils ne livraient pas l'un pour l'autre mais chacun pour son compte, juste un oubli pendant quelques minutes. Malgré ça les fantômes rôdaient, les fantômes et... les vivants... ils s'interposaient entre eux de secondes en secondes. Les consciences se perdaient mais les flashs étaient là.

Les corps s'arqueboutaient dans un enlacement plus intense, plus désespéré si proche du plaisir que ça en devait irritant. Un spasme, un second, deux râles qui se mélangèrent, les souffles courts, la sueur.
Matthias, le cœur battant à tout rompre, mit un instant avant de briser le silence. Il avait compris avant Onze ou le disait tout simplement plus tôt.


"Si tu parles une nouvelle fois à Naïma, je ferai en sorte de briser le cœur d'Henri. Tu ne le souhaites pas n'est ce pas..."


Il avait prononcé ces mots sans animosité, il ne posait même pas la question, il constatait. Un petit baiser fut déposer sur les lèvres de Onze. Avant de se rhabiller rapidement, il lui adressa un regard amical quoique légèrement réprobateur.

Henri. A l'évocation du prénom, un battement de coeur se fit plus fort qu'un autre. Les mâchoires crispées, elle leva ses yeux sur Matthias et le ton de sa voix sonna faux lorsqu'elle répondit :

Ne dis pas n'importe quoi.

A gestes tendus, elle enfila précipitamment sa robe et s'alluma une cigarette dans la seconde qui suivit. Elle avait tenté de se cacher la vérité, de se trouver des excuses, de s'oublier dans les bras de Matthias. Mais il avait arraché le voile, lui ouvrant brutalement les yeux sur une réalité qu'elle ne voulait pas assumer. Alors, pour dévier le sujet, elle répliqua :

J'ignorais qu'il y avait quelque chose de sérieux entre Naïma et toi. Je voulais juste partager un point commun avec elle... Visiblement, elle ne voulait pas. Tant pis. J'insisterai pas, t'as pas à t'en faire là dessus...

Enchainant une nouvelle cigarette, elle se releva enfin, prête à partir et lâcha ces quelques mots plein de sous-entendus :

Va savoir dans quoi on s'entraine...

Un dernier baiser sur les lèvres du jeune homme, et elle souleva un pan de la tente, observant silencieusement le campement, comme hésitant à sortir...

Matthias haussa les épaules. Il savait bien qu'ils n'y étaient pas. Qu'ils avaient chacun pensé, inévitablement, à quelqu'un d'autre. Non pas qu'il comprenne pour autant mais il ne pouvait que le constater. D'un air sombre il demanda un cigarette qu'il obtint. Tout ce qu'il savait c'est qu'il ne voulait pas que Naïma souffre par sa faute.

Quelques volutes de fumées plus tard, il émit un rire désinvolte qui cachait bien son malaise puis répondit avant de sortir:


"J'n'en sais rien."



La discussion était close, ils ne pouvaient rien l'un pour l'autre de toute façon.