Frustration et... déclic

Lex regarde autour d'elle, interdite, tous ces gens qui s'éloignent d'elle après qu'elle eu cédé à son instinct... Même Jade lui avait tourné le dos. Bien sûr il y avait eu un manque total de finesse dans la façon de procéder mais elle ne pouvait s'empêcher d'avoir l'estomac tordu par un sentiment d'injustice... Elle s'en voulait de ne pas avoir su rester égoïste au moins autant qu'elle en voulais à tout ces gens de s'entredéchirer "en douceur". Elle regarda au loin ceux qui étaient encore autour du feu, cherchant quelqu'un à qui se raccrocher suite à cette gifle mais rejeta la tête en arrière en serrant les dents...
Non, ne compte sur personne...
L'humidité pointa au coin de ses yeux mais paradoxalement la colère bouillonna de plus belle. Elle tourna vivement la tête vers son couchage installé non loin sous un arbre. D'un pas décidé elle s'y rendit et commença à empaqueter ses affaires.
En rencontrant ces gens elle avait cru qu'elle s'était réjouis d'intégrer un groupe de personne civilisé, aimable dont les membres attentifs les uns aux autres. Elle n'avait alors pas pensé que cela pourrait s'avérer être un inconvénient. Mais elle avait vite retrouvé, hypocrisie, rivalités, hiérarchie... Vivre parmi eux l'avait affaibli. Sa tentative pour aider Jade en était la preuve. Il était grand temps qu'elle retrouve l'hostilité du désert pour s'endurcir de nouveau...
Elle enfila son sac à dos et se mis debout... Au fil de ses pensées la chaleur de la colère c'était diluée en elle et elle apprécia la caresse d'une brise nocturne qui la décontracta plus encore... Elle fini par sourire.
Peut être que cet incident n'avait pas été une mauvaise chose... comme un déclic pour la sortir d'un stagnation dont l'influence négative était trop subtile pour qu'elle s'en aperçoive. Elle éprouva toutefois une pointe de regret en pensant à Jade... Jade... Son alter ego semblait ne pas pouvoir se battre sans le soutien d'autrui. Lex considéra son bras maigre et couvert de griffure... ne pas pouvoir... mais sans doute aussi ne pas vouloir... Et comme le voulait le credo médicale: la première étape pour guérir c'est de vouloir guérir... Et la sur protection du malboro man Alopias l'en empêchait, la rendant toujours plus vulnérable et dépendante des autres... Lex secoua la tête:
Raaaah arrêtes c'est pas tes oignions bordel
Elle inspira profondément pour chasser cette pulsion altruiste qui la faisait s'inquiéter pour eux...surtout pour elle. Elle fit appel à son tout son égoïsme et même à son mépris.
Qu'ils aillent au diable!

Matthias se débattait au milieu du chaos de son esprit. Les minutes passaient semblables à des heures de cauchemar intense. Folie furieuse, délire psychédélique, le rêve devait être particulièrement atroce, le jeune homme transpirait à grosses gouttes qui inondaient son front.
Les gestes étaient brusques, saccadés, désespérés. Inconsciemment il tenta de se raccrocher à elle et sa main se crispa sur la place vide. Un bref cri, l'éveil.

Hagard dans le noir, il se rendit compte qu'il était seul. Impossible de distinguer le rêve de la réalité mais il était habitué à se comporter comme si cela n'avait pas vraiment d'importance. La priorité devint de la trouver.

Matthias sortit en titubant, à moitié défroqué. Le camp était calme. Il ne put que la voir. Elle regardait Lex qui avait l'intention manifeste de se tirer.

Le déclic résonna dans son crâne. Elle savait, bien sur. Elle savait avant même qu'il le lui dise. Il était tout transparent pour elle, c'était une évidence, une femme de son espèce ne pouvait que savoir, comment avait-il pu présumer qu'il avait le temps de laisser filer la nuit avant de lui dire ?

Sa mâchoire se crispa un instant comme sous l'effet d'une décharge de douleur et il s'avança derrière elle. Sa main se posa sur son épaule avec un léger tremblement nerveux.
Livide, son front perlait toujours mais son expression était différente. Comme si le nimbe de son être s'était momentanément envolé. Elle l'avait forcé à s'arrêter, forcé à arrêter l'incessant va et vient de son esprit pendant quelques brèves minutes. Son regard brillait d'un éclat terrible, mélange de gratitude et d'amour et d'admiration.

Et Matthias de souffler doucement à Naïma:


"Ne fais pas ça.
Va dormir, je resterais dehors...

Mais je t'en supplie, ne fais pas ça..."

Trop d'hésitation... Elle ne savait pas si c'était un acte manqué mais le temps passé à réfléchir à la légitimité de se décision, inévitablement, il avait fallu que quelqu'un la croise avant qu'elle n'ait quitté le camp. Naïma... Spontanément, Lex a le réflexe de se sentir coupable... Coupable d'agir de façon impulsive, puérile, disproportionnée... Le poids de son sac de voyage se fait un instant plus important. Elle détourne les yeux, gênée d'avoir été "prise sur le fait"... Puis brusquement la détermination la regagne.
T'es encore libre de ce que tu fais de ta peau pauvre pomme!
Elle redresse vivement la tête, prête à affronter un regard plein de jugements...

...mais il n'y en a aucun dans celui de Naïma. Ah la grande surprise de Lex, elle y lit plus de compassion et de connivence que ce à quoi elle ce serait attendu... Perplexe, ses yeux restent accrochés aux siens pendant un moment. Elle ouvre lentement la bouche comme si elle cherchait à dire quelque chose mais rien ne lui vient.

Rien avant que n'arrive Matthias. Lorsque le jeune homme sort de l'ombre, à moitié comateux, les deux femmes s'abandonnent à leur contemplation silencieuse pour tourner leurs regards vers lui... Il s'avance fébrile vers Naïma, lui adresse quelques propos tremblant:

"Ne fais pas ça.
Va dormir, je resterais dehors...

Mais je t'en supplie, ne fais pas ça..."

Profitant de l'inattention des deux autres, Lex fait la moue...
Et c'est reparti.
elle se détourne...
J'ai déjà donné.
et aperçoit une troisième personne...
Tu parle d'un départ en douce, rappelles toi de ne pas te faire d'états d'âmes et de filer direct la prochaine fois.

Henri qui semblait jusqu'alors observer la scène comme un rapace, se dirige maintenant vers eux. Lex, le regardant arriver l'observe en plissant les yeux. Elle sait qu'elle aurait déjà du s'éclipser mais elle a envie d'entendre ce qu'à a dire ce grand épouvantail. La curiosité...

Encore quelques pas, et Henri arrive au niveau des 3 jeunes gens.
Sa langue parcourt ses lèvres, essuyant doucement les quelques gouttes de sang qui s'y sont accrochés. Cette saveur métallique réveille son regard, ouvre ses yeux...

La scène parait étrange, abandonnée à la confusion environnante, presque irréelle, illogique. La lueur vacillante du feu de bois agonisant en des soubresauts bruyants rajoute encore à l'effet de flou.

Henri lève sa main droite, et la dépose avec calme sur l'épaule de Matthias, comme pour le retenir de son oscillation chancelante. D'un voix sombre et lente, il lui lance, sans animosité aucune :
"Naïma a besoin de Silence, Matthias : il n'est plus l'heure pour toi de jouer... Va-t-en, maintenant"
Puis, approchant son visage de la tempe du jeune homme, il souffle, presque inaudible : "Elle ne s'enfuira pas ce soir, je te le promets... Repose-toi calmement : je veille..."

Il relâche la clavicule de l'Ebourifé, le libère de sa poigne, et s'avance, massif, vers la jeune brune.

Il n'essaie nullement de saisir son regard, ne la touche pas. Juste avance-t-il ses lèvres de son oreille, pour murmurer avec tact et retenue quelques mots clairs, qu'elle seule peut entendre :
"Ton coeur s'assombrit, Naïma, je le sens... Cela est déstabilisant, effrayant. Pourtant, une fois maitrisée, l'obscurité offre une grande force : souviens-toi d'Eugène...
Je peux t'apprendre : réfléchis-y, avant de partir..."

Deux pas en arrière, et il abandonne Naïma à ses songes, à son mutisme.
Il est désormais face à Lex, rousse comme Jade, et pourtant si différente. Il observe d'un air distant ses affaires empaquetées, trahissant son projet de filer à l'anglaise. Il baisse alors les yeux, et lui dit, froidement :
"Je ne te connais pas, Lex...
Que tu partes ou que tu restes, peu m'importe : j'espère juste que tu ne fais pas l'erreur de délaisser ta survie au profit d'une impulsivité déraisonnable.
Permets-moi juste un conseil : la nuit est sombre, et la plaine peu sûre. Attends au moins l'aube, si tu souhaites nous fausser compagnie."

Sans attendre de réponse, Henri tourne les talons. Sa lèvre a cessé de saigner. Il s'éloigne, retournant dans la nuit toute proche qu'il s'en veut déjà d'avoir quitté...

Lex observe Henri. Il parle d'abord aux deux autres pour les rassurer mais son assurance lui semble condescendante. Elle ne saisit pas tout mais certaines expressions lui parviennent...

"Elle ne s'enfuira pas...; Je peux t'apprendre..."

Le cynisme la gagne... Ainsi donc cette homme qui d'ordinaire s'isole pour cultiver son aura de mystère les gratifie de son impèrieuse présence et prodigue ses sages conseils? Elle réprime une grimace moqueuse tandis qu'il se retourne vers elle. Le dédain dans son attitude ne la surprend pas: tout cela est compris dans la panoplie du sombre protecteur. Nul doute qu'il doit la considérer comme la fauteuse du trouble de cette situation.Ce qui est étranger est bien plus facile à blâmer... Il prend la parole:

"Je ne te connais pas, Lex...
Que tu partes ou que tu restes, peu m'importe : j'espère juste que tu ne fais pas l'erreur de délaisser ta survie au profit d'une impulsivité déraisonnable.
Permets-moi juste un conseil : la nuit est sombre, et la plaine peu sûre. Attends au moins l'aube, si tu souhaites nous fausser compagnie."

Cette fois Lex ne peut réprimer son habituel souffle amusé. Alors qu'il se détourne et commence à s'éloigner comme pour manifester plus encore son désintérêt, elle prend la parole avec un ton de défi:

"En effet oui je vois que tu n'me connais pas... Je crois même que si tu n'm'étais pas tombé dessus ce soir tu n'aurais même pas remarqué mon départ...pas plus que mon arrivée. Enfin bref, si tes "précieux conseils" peuvent te donner bonne conscience vas y je suis toute ouïe... Mais si tu n'as que faire de mon sort alors dispense toi de juger mes raisons de partir "déraisonnables" je te prie... tu ne les connais même pas.
En tout cas mon sac est fait et la nuit, à mon humble avis "d'insignifiante", me permettra de voyager plus tranquillement... Je vais donc m'en tenir à mon plan puisque tu n'y vois pas d'inconvénient..."

Elle réajuste son sac en le regardant d'un air provocateur... expression qu'elle abandonne brutalement en constatant les blessures de l'homme au niveau des lèvres. Perplexe, elle se dit que cet homme est peut être moins prévisible qu'il n'y paraît...mais pas dans le bon sens des choses. Elle détourne le regard pour masquer son inquiétude. Décidément cette idée de départ s'avère de plus en plus justifiée...

A ces quelques mots, Henri se tourne. Durant la longue tirade acérée, il reste figé, telle une massive statue inerte : seuls le bas de son pardessus sombre oscille au gré du léger vent du soir. Lorsque Lex se tait, il s'avance vers elle, doucement, sans aggressivité. Son visage, tout proche de son interlocutrice, dévoile des traits qui paraissent encore plus fatigués qu'à l'habitude. Son regard se dissimule derrière ses longs cheveux noirs, toujours fuyant, indirect... Il penche sa tête doucement vers la droite, tandis que ses lèvres fines se pincent.


"Comme tu le soulignes si bien, je ne te connais pas. Pas plus que tes projets. C'est d'ailleurs surement mieux ainsi.
Après tout, que valent les mots d'un sombre Inconnu, autant inopportun que désagréable : ce ne sont que des conseils stériles, visant à meubler le silence et à donner l'illusion d'une courtoisie hypocrite, n'est-ce pas ?

Ce n'est pas comme si tout cela avait de l'importance...

Bon courage dans ton périple, et désolé de t'avoir importunée..."

De timides gouttelettes carmins réapparaissent au coin de ses lèvres pales. Il les essuient du revers de la main, et quitte définitivement l'endroit, sans se retourner.

Lorsque le grand épouvantail se retourne vers elle, un frisson parcourt l'échine de Lex. Subitement elle regrette amèrement sa provocation. Et puis le voilà qui s'avance vers elle. Il s'approche, s'approche... le déplacement est comme une éternité de malaise allant crescendo.

Si Henri avait eu l'occasion d'observer Lex auparavant il aurait su que s'approcher si près d'elle était... chaotique... Seul Matthias en avait eu le culot mais ses intentions avait été limpides ce qui avait suffit à apaiser les instincts défensifs de la rouquine. Non Henri ne la connaissais pas... mais elle ne le connaissais pas non plus ce qui étais encore pire...

Alors que leurs visages sont tout proche, Lex tentant péniblement de masquer sa crainte déglutit lentement. Elle réalise que l'index et le majeur de sa main droite son fortement pincés sur l'encoche d'une flèche de son carquois. La voix caverneuse de l'homme retentit alors, la faisant presque tressaillir:

"Comme tu le soulignes si bien, je ne te connais pas. Pas plus que tes projets. C'est d'ailleurs surement mieux ainsi.
Après tout, que valent les mots d'un sombre Inconnu, autant inopportun que désagréable : ce ne sont que des conseils stériles, visant à meubler le silence et à donner l'illusion d'une courtoisie hypocrite, n'est-ce pas ?
Ce n'est pas comme si tout cela avait de l'importance...
Bon courage dans ton périple, et désolé de t'avoir importunée..."

Les derniers mots apaisent quelque peu l'ouragan de tension qui la parcourt. Elle agite fébrilement ces doigts qui était crispés sur la flèche pour que le sang y circule de nouveau... Toutefois quelque chose continue de la déranger... Pourquoi ce type la conforte-t-il dans ses a priori? Un masochiste? Aimerait-il être mal considéré?

Tandis qu'il se détourne elle secoue la tête. Non c'est sûrement plus compliqué... Mais ça ne te regarde pas... Telle est sa grande leçon de ce soir...
Se taire et n'agir qu'en cas d'extrême nécessité. Et la prochaine fois que tu cherche un type sans savoir s'il ne vas pas te tuer pour ton arrogance, rappelles toi de t'éviscérer toi même tu lui épargnera cette peine...

Elle reste un moment à regarder Henri disparaître dans l'ombre avant de piteusement réajuster pour la énième fois son paquetage, se maudissant pour ses nombreuses erreurs de la soirée...
Il est vraiment tant que j'y aille...

Une fois de plus, Lex s'apprête à mettre un pied devant l'autre... Mais une fois de plus quelque chose retient son attention. Cette fois c'est le regard étrange de Naïma. Réfléchissant un instant elle commence à se dire qu'il faudrait qu'elle cesse de se trouver des raisons de ne pas faire le pas, mais les yeux de la grande brune lui lance véritablement un appel...
Croyant soudainement comprendre, elle lui dit doucement:

"Ce n'est pas de ta faute tu sais, je... j'ai dit et fait beaucoup de sottises ce soir... Je crois que ça me fera du bien de prendre du recul et..."

Elle s'arrête. L'attente semble persister dans le regard de Naïma. Plus qu'une attente... Mais Lex ne comprends pas. Elle songe bien à cette situation un peu cliché d'une personne priant une autre de l'emmener avec elle mais... Non. Ridicule. Elle a des amis et bien plus dans ce groupe. Comment voudrait elle abandonner tout cela pour une compagne de route aussi exécrable que la rouquine?

Lex, incapable de comprendre lui adresse un regard d'impuissance, presque un haussement d'épaule peiné. Lentement, ne la quittant du regard qu'au dernier moment, elle se détourne et commence à marcher dans la pénombre nocturne...