Pardon ...

Le bruit des pas dans l'herbe qui commençait à se couvrir de rosée avait tiré Fawkes de ses rêveries. Il écouta Naïma étaler ses plaies et ses mensonges comme lui l'avait fait dans la tente de l'herboriste, une éternité auparavant de ça, après la mort de Muse.
Elle cherchait à extirper le cancer qu'était sa conscience douloureuse.
Pendant qu'elle parlait, il se releva pour lui faire face. Il était étouffé par un sentiment de colère qui le consumait et se sentait pourtant trop vidé pour se battre.
Tour à tour, une oppressante pulsion de violence s'emparait de lui avant de laisser place à une lassitude incommensurable, au fond insondable.
Les mots glissèrent de ses lèvres comme le dernier souffle d'un agonisant.

- Je n'ai rien fait pour vous, Naïma vous étiez le symbole d'un idéal à mes yeux. J'ai tué Muse parce qu'il était un danger pour cet Humanisme que vous défendiez, Searclaw et vous. Mais je l'ai aussi fait parce qu'il était cette liberté que je me refuse. Il était ce que j'aurais pu être si j'acceptais de me laisser libre de tout.

Le feu crépita gaiement l'espace d'un silence.

- Pourquoi me pardonnez-vous plus qu'à Henri, Naïma ? J'ai pourtant été l'initiateur de la condamnation de Muse. N'est-ce pas parce que Onze ne souffrirait pas mille enfers de ma mort ? Avez-vous voulu venger Muse, ou bien avez-vous vengé vos propres souffrances, nées bien avant le départ des Infidèles, ou des Affranchis, quel que diable soit leur fichu nom, de Buducnost ?

Il posa une main sur l'épaule de la jeune herboriste, la lueur de colère froide de son regard chassée par un torrent de compassion et de chaleur.

- Naïma, ne me demandez pas de pardon, parce que je n'ai pas à vous en offrir, parce que le pardon ne peut venir que de quelqu'un de meilleur, parce que vous devez le faire pour vous même. Et vous ne le ferez qu'en étant honnête avec vous même.

Il caressa la joue de la jeune femme comme on caresse celle d'un jeune enfant qui sort d'un cauchemar.

- Pardonnez-vous ce pour quoi votre conscience vous fait souffrir. C'est à vous de chercher ce qui vous ronge.

Fawkes avait du mal à croire que Naïma avait pu prendre la vie d'un homme quelque que fut ses griefs à son encontre. Lui associer l'idée de mort semblait un concept issu d'un cauchemar de perversion. Il aurait voulu se convaincre qu'il avait voulu, justement, préserver cette naïveté en se salissant les mains e=à sa place. Mais au fond de lui, il avait bien conscience qu'il s'agissait aussi d'un plaisir personnel. Il n'avait rien à se pardonner, parce qu'il avait décidé de vivre avec la charge d'être lui, et ne le souhaitait à personne d'autre.

- Je ne saurais vous montrer un voie claire et débarrassée des herbes folles du doute, Naïma, car c'est là un chemin que je pourrais probablement pas parcourir pour moi-même, dit-il avec un sourire triste. Mais je vous encourage à essayer de retrouver la paix, comme je le souhaite pour chacun d'entre-ceux qui compose votre groupe.

Ce qui me ronge ?
De ne pas avoir su pardonner.

Elle baissa les yeux. Elle n'osait plus soutenir le regard de Fawkes.

Je ne suis la personne que je dis être.
Je m'éloigne chaque jour un peu plus de la personne que tout le monde connaît.
Je dis être pacifiste et aider quiconque, et j'ai tué de sang froid l'un de mes compagnons.
Et ... Je n'en éprouve aucun remord.

Elle releva la tête.

Je ne sais plus qui je suis. Je ne sais plus ce que les autres attendent de moi, et si je serai encore capable de les satisfaire.
Si tant est que j'en ai été capable un jour ...

Une profonde lassitude se fit ressentir dans sa voix.

C'est moi qui devrait partir de mon coté, seule.
Pas toi.
Cela serait sans doute mieux pour tout le monde.

*Mais je n'en ai pas la force. Ni le courage ...*

- Croyez moi, partir seul dans ce désert est loin d'être évident, dit-il avec un sourire. Il se trouve toujours au moins un fou pour vous courir après, au risque de sa propre vie, pour vous ramener ici. Et je suis certain que vous auriez aussi le vôtre.

Il imaginait déjà Searclaw courir derrière Naïma au prétexte qu'il ne pouvait laisser un être humain disparaitre ainsi.
Lorsqu'il était revenu à contre-cœur, Fawkes était tenaillé par la peur d'avoir une réaction violent envers Matthias ou... Naïma. Pourtant, entendre la jeune femme exprimer ses doutes éveillait l'écho de ses propre doutes quand à son identité réelle au sein des autres hommes. Doutes qu'il était encore loin d'avoir dépassés.
Doucement, il lui prit le menton pour relever son visage vers lui.

- Je ne sais pas grand chose de la vie, Naïma. Mais vous n'avez pas à éprouver de remords de ne pas être ce que les autres attendent de vous. Vous ne pouvez pas vous effacer pour l'image que l'on a de vous. J'ai fait l'erreur de vous idéaliser, et ma... colère était, finalement, tournée contre moi de m'être ainsi illusionné. On ne peut enfermer quelqu'un dans la cage de ce que l'on a envie qu'elle soit. J'ai été égoïste de vouloir vous priver de la liberté d'être vous. Ne laissez personne le faire. La force d'un être humain ne vient pas de pouvoir endurer de donner la mort sans sourciller, mais d'être ce qu'il est sans plier sous la contrainte des espérances des autres.

Il connaissait lui-même assez bien la difficulté à accepter ce qu'il était, et à vivre avec. Tout ce sang sur ses mains et si peu de remords réels, en dépit du poids de chaque mort qu'il s'astreignait à porter.