De l'eau, de l'eau de pluie, de l'eau de là-haut...

Le plan de production avait été donné. Onze, comme d'habitude, se trouvait chargée d'aller récupérer de l'eau en compagnie de Ann, dont la compagnie plus que silencieuse lui convenait à merveille.
Mais cette fois-çi, une apprentie se greffait au groupe...

La jeune femme regarda Naïma arriver, un léger sourire aux lèvres. Elle le savait d'avance, la brune serait une bonne élève, attentive et désireuse d'apprendre...

Elle mena donc ses deux comparses à travers le marais, semblant apparemment exactement où se rendre. Onze ne disait rien, observant les alentours avec attention et jetant de temps à autre des coups d'oeil sur Ann et Naïma, leur faisant signe de rester silencieuses.

Elles finirent par déboucher sur une petite rivière, dont l'eau claire contrastait avec celle du marais. Onze sortit de son sac plusieurs gourdes, en remplit une et gouta le précieux liquide. Un air satisfait sur le visage, elle se retourna vers Naïma :

Première leçon : observer et écouter les alentours. Tu as entendu les clapotis de l'eau tout le long de notre chemin ? Rien à voir avec ceux du marais... Là ils sont légers, fluides... Avec l'habitude, on peut distinguer d'assez loin le bruit d'un cours d'eau...

Observatrice hein. C'est bien.

Onze tendit la gourde qu'elle venait de remplir à Naïma, et poursuivit ses explications :

Avant de la gouter il y a un tas de choses à faire. Avec l'expérience, ça se fait très vite, j'imagine que c'est pareil quand tu vas cueillir tes plantes... Je la sens d'abord. Puis je regarde son aspect. Une eau impure ne sentira pas la même chose ou ne sera pas aussi transparente qu'un cristal, ce n'est pas forcément facile à détecter au début je te l'accorde.

La jeune femme se débarrassa de ses chaussures et entra dans le ruisseau...

Regardes ! Tu vois ces poissons ? Il est rare d'en voir dans une eau impropre. Après, c'est vrai qu'une eau empoisonnée peut paraitre exactement comme une eau pure, et là il ne reste plus qu'à y gouter pour savoir. C'est un risque à chaque fois, mais l'eau est tellement rare ici que je doute que quelqu'un soit assez perfide pour la dénaturée... Enfin j'espère...

Elle sourit à Naïma avant de lui désigner les autres gourdes :

Viens avec moi, il faut toutes les remplir. Ann va se débrouiller seule, elle a l'habitude.

Les branches d'un fourré craquèrent avec un bruit sec quand une monstre de vase émergea de l'ombre. La démarche de la silhouette était mal assurée, et l'être glissa sur une pierre couverte de mousse.
Le cri de surprise et de désespoir mêlé résonna dans les sous bois, et quelques oiseaux effrayés s'enfuirent à tire d'aile, tandis que Fawkes termina sans chute sur le ventre dans une gerbe de goutte d'eau étincelantes.

- Râââââââââh ! Hurla-t-il

Il se releva, en pestant, se rendant soudain compte de la présence de Onze et de Naïma, sa surprise de les rencontrer alors qu'il pensait s'être perdu après avoir marché des heures, se lut dans ses yeux ouverts, ronds comme deux assiettes.

"Les drogues et poisons, je connais". En entendant ces quelques mots, le coeur de Onze sembla manquer un battement. Elle n'en montra cependant rien et continua à remplir les gourdes jusqu'à l'arrivée de Fawkes. Au bruit qu'elle fit, elle lâcha un hoquet de surprise avant de poser un regard noir sur lui :

On s'amuse bien ?

Elle qui avait espéré passer un moment tranquille avec Naïma ne put s'empêcher de soupirer...

Fawkes qui avait passé une journée épuisante à tourner en rond entre les fondrières et les trous d'eau, ressenti un immense soulagement en constatant que la hasard l'avait remis sur la bonne route. Il ouvrit et ferma plusieurs fois la bouche, avalant un peu boue au passage.

Puis le naturel des relations humaines balaya surprise et soulagement. Il se redressa, et passa silencieux à côté des deux femmes reprenant le chemin du camp.

Elle savait que le ton qu'elle avait employé, suivi de la remarque de Naïma, étaient la cause du silence de Fawkes. Mais ce n'était pas le moment. Si les deux femmes avaient un jour une chance de s'entendre, cela ne pourrait se faire que lors de ses précieux instants où elles étaient seules...

Onze regarda l'homme s'éloigner puis reporta son attention sur la brune :

Je crois que nous avons assez d'eau pour aujourd'hui. Que dirais-tu d'une baignade ?

L'eau était froide mais cela importait peu à la jeune maman. Elle était dans son élément, et avait connu des températures bien pires. Sans attendre la réponse de sa compagne, Onze se débarassa de sa robe, révélant son corps mince et blanc, entièrement nu, et dévoila ainsi à Naïma le tatouage qu'elle portait au bas de son dos, lointain souvenir d'un amant disparu...

Elle plongea sous l'eau et ne remonta que plusieurs mètres plus loin...

Désolé pour cette belle cicatrice Naïma mais j'ai fait tout ce que je pouvais !

C'était Jack qui se baladait dans le coin, à la vue de ses amis qui se baignaient il ne pu résister. Il s'employa à défaire ses lacets à toute vitesse et s'effondra sur le côté en voulant oter son pantalon trop petit. Il finit par s'en dépétrer et plongea dans l'eau cristalline. En remontant à la surface celle-ci était devenue trouble de vase, mais sa fraicheur détendait ses muscles endoloris par des jours de marche.

Il fit quelques brasses jusqu'à elles, goutant le plaisir de glisser dans l'eau:

Si le crash a détruit quelque chose d'inutile , c'est les maillots de bain ! vive le naturisme
et il imita une otarie

En entendant Jack, Onze se demanda s'il y avait moyen d'être tranquille quelques instants dans leur groupe. Mais sa colère passa aussitôt qu'elle le vit s'emmêler avec son pantalon, à l'inverse de Fawkes, Jack avait le mérite de l'amuser...

Depuis combien de temps es-tu là à te rincer l'oeil toi ?

Elle lui adressa un sourire pour sous-entendre qu'il n'y avait aucun reproche dans sa question. Retrouvant un peu de sa bonne humeur naturelle, elle défia ses deux compagnons :

On fait la course ? Voyez c'te grosse branche d'arbre au dessus de l'eau là bas ? Ca me parait une bonne distance !

Naïma s'échappa, surprenant ainsi Jack et Onze, qui s'écria :

Héééééé !! Tricheuse !

La jeune femme ne put retenir un bref éclat de rire avant de se lancer à sa poursuite. Agile et bien entrainée, elle rattrapa rapidement la brune et d'une main, lui lança une gerbe d'eau au visage.

Tu croyais pas que j'allais te laisser faire !

Elle sentit le contact de la main sur sa cheville, dans un geste qui rendit vain ses mouvements amorcés. Onze se retourna pour faire face à Naïma et lui lança, mi-outrée, mi-amusée :

Alors en plus d'partir avant les autres, tu leur fais délibérément obstacle ! C'est du joli ça !

Onze plongea sous l'eau, attrapant la brune par la taille pour l'emmener avec elle au fond de la rivière. Elle ignorait les capacités de Naïma dans ce domaine, mais supposa que les concours d'apnée devaient être monnaie courante sur son île natale... Elle finit par la relâcher, et d'un vif mouvement des jambes remonta avant elle, s'éloignant de quelques brasses pour ne pas subir la vengeance de la jeune femme...

Jack sourit en voyant les deux jeunes femmes s'amuser. Il en profita pour glisser dans l'eau subrepticement pour tenter de les dépasser tel un fourbe. Il n'était pas vraiment un nageur hors-pair mais il aimait l'eau ! A défaut de pouvoir nager dans de la bière, s'entend. Quand Naima le répéra il tenta d'accélérer mais n'arriva pas à rattraper les deux naïades.

Tu sais, pour ce que tu disais, je ne suis pas voyeur mais esthète et amoureux de cette Nature si belle, de ses fleurs, de ses femmes et de ses paysages.

Face au regard de Onze, il ajouta un clin d'oeil pour signifier le second degré.

Elle avait gagné, mais la victoire était purement symbolique. Couverte de gouttes d'eau, Onze regagna la rive, s'étendant dans l'herbe, sous les minces rayons du soleil. Elle regretta de ne pas avoir pris avec elle ses cigarettes, mais cela lui évitait certainement un sermon de la jeune médecin...

Quand tu veux pour la revanche Naïma !

Quant à toi Jack, t'sais bien que c'est pas moi que ça va déranger qu'tu viennes admirer la Nature hein !

Elle lui rendit son clin d'oeil, complice, et ferma les yeux. Cela ne l'empêcha toutefois pas de continuer la conversation :

J'me disais Naïma, faudrait p't'être qu'un de ces jours tu fasses passer une petite visite de contrôle à Sarah... Je pense qu'il n'y a pas de soucis, mais ça me rassurerait...