Pain perdu.

Le lendemain de réunion nomade avait comme un relent de vase alcoolisée.
Regards embrumés, mine pas nettes, la plupart de ceux qui avaient abusé en portaient les stigmates.
Les loups de mer avaient repris pour ne pas dire commencé leur voyage aux aurores tandis que les Affranchis trainassaient allégrement.


Ils avaient fini par reprendre la route pourtant, se réengageant à travers l’épaisse forêt.
Matthias pour sa part tenait manifestement une forme exceptionnelle et s’était agité en tout sens pour qu’ils reprennent la route le plus rapidement possible. Pendant un moment ses lunettes furent sorties pour l’occasion et braquées sur sa carte -que n’importe qui aurait trouvée absolument illisible- dans l’espoir de ne pas se perdre et retrouver Fawkes, tout en naviguant à la louche. Lorsqu’il eut achevé son étude, il les rangea soigneusement et afficha son habituel air satisfait qui pouvait donner l’illusion qu’il savait toujours exactement où ils allaient.


Ils allaient donc, plus ou moins gaiement selon les personnages, Matthias souriant et « z’yeutant » de tous côtés. Bien que les bois recélaient de nombreux trésors propres à enflammer son imagination débordante, ses compagnons restaient sa principale source d’attraction.
Ce jour là le regard du jeune excité passait et repassait plus particulièrement sur Byleth et son improbable packtage.


Au bout d’un certain temps, alors qu’il avait sans doute épuisé tout seul les diverses réponses possibles en autant d’élucubrations, Matthias se rapprocha de Byleth qui marchait non loin.

Désignant d’un hochement de menton le grille pain enfermé dans la cage à oiseau, le jeune homme au regard brillant de curiosité demanda de but en blanc, comme si la question fut tout à fait logique :


« Pourquoi il est en prison ?»

La soirée avait plongé les survivants dans la mare poisseuse de la gueule de bois. Mais la route et ses enchevêtrements sans fin venaient rappeler à tous que le confort d'un lit douillet n'était plus de mise. Ils furent à nouveau plongés dans la forêt, sombre, tortueuse, tantôt immaculée, tantôt souillée par quelques débris métalliques aux accents de nostalgie éculée.

Byleth tenait fièrement le cap, même s'il sentait bien que toutes ces folies auraient tôt ou tard raison de son corps. Qu'importe. Le sentiment d'être à l'orée d'une aventure sans commune mesure commençait à poindre. Il n'avait jamais connu un tel terrain de jeu. Un peu comme si le désert du Nevada avait allègrement copulé avec les amas cendrés des bois germaniques. Un peu comme si la toundra de Sibérie s'était mise à nue devant la chaleur oppressante d'un Sahara ivre et confus. Et cette nouvelle journée ne faisait que commencer...

Alors que la troupe se glissait tant bien que mal à travers l'immense soupape végétale, butant sur ses facéties, maudissant ses malignes racines, balayant quelques mottes de terre avachies, Matthias aborda Big Funk de la plus singulière manière: la sienne.

Difficile de se faire un avis vraiment prononcé sur l'individu. Le théatre de la vie personnifié. Un mélange entre l'abnégation d'un grand ponte reconverti, de la subversion du bouffon royal et de l'imprévisibilité du joueur de poker aguerri.

"Pourquoi il est en prison ?"

Byleth s'arrêta net et pivota légèrement la tête, un sourire de mauvais augure accroché aux lèvres déchiquetées par les excès présents et passés. Après un bref aperçu de la situation, comme s'il cherchait une proie à traquer, il bondit sur une petite butte de terre et leva le bras, sa paume apparente semblant désigner Matthias, ou, qui sait, le début d'une discussion qui ne devait pas être prise à la légère.

" Je suppose que le "il" désigne l'oiseau de mauvais augure qui se trouve là dedans!
Sachez, loooord Stöger, que cette entité maléfique mérite sa peine, et qu'elle lui est même nécessaire. Ce que j'ai là n'est pas un simple objet. C'est une idée, un spectre sans visage, qui, si sa libération venait à s'opérer un jour, se lancerait sans vergogne dans la plus haute tentative d'emprisonnement que l'univers n'a jamais connu! Rendez vous compte, je les entends encore rire! Ils ont gagné une bataille, mais pas la guerre, oh noooooo...
Byleth Falevor est déterminé à ouvrir les cieux et a en faire jaillir des fontaines de sang! Kenwood et tous les minables petits autocrates qu'elle a engendrés devront tôt ou tard payer le tribu!

Un discours pour le moins incompréhensible, ou, si l'on s'y penche un peu plus, parfaitement effrayant. L'écho du rire tonitruant de Byleth monta jusqu'au cimes des arbres. Soudain, alors que tout ses compagnons devaient être intimement persuadés que la chose lui était vitale, il tourna sur lui même et, dans le même temps, balança la cage à oiseau et son contenu fonctionnel dans les bras de Matthias.


" Ouh Ah! Ils ont la Bombe, nous avons les Haches! Ahahahahahahah!
Mais je dirai même plus: j'ai aussi la Bombe, et nous avons les Haches. Ahahahahahah! Tout concorde mes amis. L'heure de la vengeance sonnera bientôt! Mon coeur au boucher, mon flingue au pacifiste, comme disaient ces putains de frenchies. En attendant, si vous tenez à votre cul, c'est pas le moment de griller du pain, ahahahahahah! Ooooouh yeah!

[hrp: je me suis relu: "une discussion qui ne devait pas être prise à la prison". Putain, c'est magique un cerveau ]

Intimement persuadé qu'il n'y avait que Matthias pour bien vouloir prêter attention à ses inepties, Byleth sursauta et faillit tomber à la renverse.

Les fesses tendues vers ses camarades, la cape légèrement relevée par le maladroit mouvement, les mains agrippées à son arbre de secours, l'énergumène retint un moment la même position, comme s'il s'agissait d'une méditation...pour le moins ridicule.

BF finit tout de même par descendre de sa butte de fortune, comme exténué par ces quelques frasques. Il dépassa Naïma en la regardant d'un air particulièrement suspicieux avant de rejoindre Stöger et son paquetage. S'échapper? La malheureuse, que n'avait-elle pas dit là...

Ses grandes mains crochues attrapèrent la cage à oiseaux et la dégagèrent des bras de Matthias. Se tournant cette fois vers Naïma, il agita plusieurs fois la prison pour canaris et en profita pour répondre à la jeune femme:

Vois-tu cela, femme? Cette chose, une fois sortie, pourrait très bien devenir la relève d'une célèbre pomme décrite dans un vieux bouquin foireux et misogyne...huhu...
C'est insensé! Tu imagines: dans ce grimoire pourri, l'origine du monde est intimement liée à une faute, un paradoxe, et, pire que cela, UNE CATASTROPHE. Ce serait pêcher que de laisser pareille monstruosité sur le bord du trottoir. Le serpent Kenwood n'attend que ça, ouuuuh yeah! Le destin m'a désigné, et je compte bien remplir ma mission.
Tu as vu juste, douce Naïma, j'espère seulement que...huuuum...tu ne seras pas envahie par l'ultime tentation...ou...huuuum...

Ses yeux furent à ce moment tellement plissés que l'on aurait plus apparenté son visage à celui d'un sharpei plutôt qu'à celui d'un homme. D'une voix douce mais inquiétante, il rajouta ces quelques paroles, un doigt pointé vers le crâne de Naïma:

...huuuum...ou bien que cela n'envisage rien de bon. J'espère juste que tu ne dis pas ça pour me faire plaisir...tu as tous les attributs de l'antéchrist post-industrielle, ahahahahahah!

Après avoir magistralement réceptionné la prison de ferraille, le jeune homme l’avait élevé à hauteur de son visage pour examiner plus méticuleusement la bête.

Le grand black achevait sa harangue et la jeune femme le caressait dans le sens du poil. Matthias, lui, avait glissé une branchette d’arbre entre les barreaux pour piquer et exciter l’appareil électrique d’un « tss tss » émis bizarrement entre ses dents.

Tout à son affaire il n’écoutait plus trop, aussi sursauta t’il légèrement avec un air de petit garçon prit en flagrant délit lorsque Byleth lui arracha la cage des mains pour la flanquer sous le nez de l’herboriste.

Il n’avait assurément pas bien compris tous les tenants et aboutissants des informations délivrées mais imitant un des cris de l’homme, il lui répondit :


« Ouh ah, Sir ! Par tous les diables, puisse cette engeance démoniaque rester sous ton parfait contrôle et ta mission s’accomplir sans heurt !!! Mais je brule de savoir, Super Big Sir Falevor, comment as-tu découvert l’existence de cette si infernale machine ? Nous mettras-tu dans la confidence ? »


Il se pencha un peu en avant, sourire de connivence aux lèvres, tout ouïe, son regard vert brillant d’intérêt et sa main désignant vaguement Naïma et lui.

Ils avaient l'air d'avoir saisi le message, ce qui ravit Byleth au plus haut point. Satisfait par ces quelques éclaircissements, il bomba le torse et rapatria la cage à oiseau contre son flanc gauche. Son statut de gardien du grille-pain n'était plus à remettre en cause, et cela lui faisait un bien fou!

Yeaaaaah, ma parole, vous êtes encore plus blanc que cette salope de blanche colombe, mes petits potes! Je dois bien avouer que j'ai eu un doute, pendant le voyage...vous devez me prendre pour un fou, mais je sais qu'ils se cachent quelque part... Certains baroufs des ondes publiques me font étrangement penser à des messages codés. Ouh ah! Ils savent que leur tâche néfaste n'a pu s'accomplir parfaitement: et de surcroît, ils savent que Big Funk est de retour, pas SUR le retour, ahahAhahAhah!

Alors que Matthias se penchait pour recevoir la confidence, conviant au passage Naïma qui avait l'air plus qu'amusée par la situation, il entoura le "couple" de ses bras et chuchota ces quelques mots, les yeux roulants de l'un à l'autre.

Vous êtes bien pressés de connaître la vérité, mes amis. Rassurez vous! Vous l'aurez, mais il est encore trop tôt pour dévoiler tous les tenants et aboutissants de cette bien triste histoire... Quand j'ai découvert cette chose, je ne soupçonnais pas une seule seconde, j'ai bien dit UNE SEULE...huhu, n'en faisons pas trop non plus...je disais...*fais la grimace*...oh yeah! Je n'imaginais pas qu'en échange de quelques uns de mes précieux dollars, il me refourguerait l'ultime instrument du GENOCIDE UNIVERSEL!

Le vieux black se redressa et, plaçant sa cape comme le ferait un quelconque empereur romain en son temps, sur la diagonale, il prit un air à la limite de la naïveté et de l'indignation, les yeux exorbités, ses joues formant de longues poches effilochées: un parfait Droopy Noir en territoire post-apocalyptique!

Ooooooooh, looooord, moi qui voulais seulement améliorer les fonctionnalités de mon petit déjeuner!

A cet instant, une petite brise parcourut les bois, faisant gigoter quelques secondes les frêles feuilles des grands arbres. Sans crier gare, BF se rua sur les deux survivants, les sépara d'un geste de la main, mais n'arrêta pas sa course folle pour autant. Il avait en fait aperçu une sorte de petit feuillet racorni, volant au bon vouloir des masses d'air. La rattrapant lestement, il enleva du revers de sa grosse battoir les quelques détritus organiques qui souillaient le mystérieux message.



Peut être que son hurlement atteignit Twitter's Swamp...

Il retrouva néanmoins ses esprits et rejoignit les autres, l'affiche maculée sous le bras. La brandissant nerveusement au dessus de leurs têtes, la conclusion ne se fit pas attendre:

Vous voyez?! C'est un signe! Ces putains de petits chiards recouvert de pus s'amusent à jouer au jeu du chat et de la souris! Ce n'est pas le moment de nous reposer sur nos lauriers, oh noooooo... Par Monts, par Culs et par Vaux, j'espère que cela vous ouvre les yeux, les jeunes!