Kaainga

L'hiver approchait à grands pas, et le vent se faisait vif, sur le pont du bateau.
Naïma n'attendait qu'une chose : que Matthias trouve enfin un endroit qui lui plairait, pour pouvoir enfin descendre de ce bateau.

Quand enfin, un matin, en se réveillant, Naïma se rendit compte que le bateau n'avançait plus.
Elle monta sur le pont, et retrouva Matthias, qui regardait la terre avec un grand sourire.
Il lui désigna un endroit, sur la côte.

Une plaine d'herbes hautes, bordée d'une forêt assez dense.
Plus loin, au nord, on voyait des dunes poindre.

Naïma sourit, et acquiesça.
Oui, ce serait parfait pour s'installer, et pour fonder une famille.

Le navire mit un certain temps à accoster.
Dés qu'elle put, Naïma sauta à l'eau pour gagner la terre ferme, qu'elle était bien déterminée à ne plus quitter.

Ses premiers gestes furent simples.
Elle monta sa tente, forma un cercle de pierres pour le feu, et déballa ses affaires.

Puis, alors que les autres s'installaient, elle attrapa un bout de bois qui trainait, et y grava un simple mot, avant de planter le bout de bois, un peu en retrait du campement.

"kaainga". Le village, en Maori.

Elle s'installait, enfin.

Nombre de messages : 1225 Date d'inscription : 08/06/2008

Intrigué, Matthias s'était approché. L'endroit idéal. Il l'avait trouvé, en tout cas il l'espérait.

Le jeune homme observa Naïma qui regardait fièrement son panneau puis vint poser sa main sur son épaule.

"Qu'est ce que c'est ?"

Elle sursauta quand il arriva derrière elle, puis sourit, et répondit :

Ça veut dire "village", dans la langue des anciens de mon pays.
Et c'est là, dans un Kaainga, que s'installe une hapu. C'est plus qu'une famille, presque une tribu. Et c'est comme ça que je nous vois, tous les 4.

Qu'en dis-tu ?

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Enclin à faire n'importe quoi pour exprimer sa joie, Matthias fit quelques bonds autour du panneau puis s'écria soudain:

"KaAinGGaaaaaa"

Il apparut ainsi que la sonorité du mot lui plaisait beaucoup. Prenant la jeune femme dans ses bras, Matthias la fit virevolter deux secondes avant de la relâcher et décrire une large révérence. Il lui adressa son plus beau sourire puis baissa les yeux, semblant hésiter. Depuis qu'il s'était fait rabroué la première fois, le sujet paraissait le mettre mal à l'aise. Comme s'il avait peur d'y croire ou de la contrarier.

"J'aime beaucoup, c'est très beau. Et nos enfants ? Ils s'appelleront comment ?"

Elle sourit à cette demande. A vrai dire, elle n'avais jamais réfléchit à ça.
Elle sembla réfléchir quelques secondes, puis dit simplement :

Je ne sais pas. De toute façon, il parait que ça porte malheur de choisir le prénom à l'avance.
Et puis, on choisira en les voyant, non ? Je suis sûre qu'on trouvera les prénoms parfait devant leur premier sourire.

Elle lui sourit, gardant le silence pendant encore quelques secondes.
Puis lança d'un air innocent :

Mais bon, j'aime bien William, Hugo, Cléo et Dahlia.
Et toi ? Tu as des prénoms que tu aimes ?

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Matthias haussa ostensiblement les épaules pour dire :

« Suis pas superstitieux. »

Puis il sourit et passa son bras autour des hanches de sa femme, l’entrainant vers le campement sommaire.

« William et Cléo c’est mignon. Sinon me plaisent aussi Raphaëlle, Frédérique, Clarisse, Lucas, Alexis.
Ca me fait penser, je ne sais même pas le nom de ta famille, t’avais des frères et sœurs ? »

Mon nom de famille ? Et bien, il me semble que c'est Stöger, non ?

Elle rit de bon cœur. Puis redevint sérieuse, et avec un petit air mélancolique, elle reprit :

C'était Wood. Rien de très original. Et non, je n'avais pas de frère, ni de sœur. Juste mon chien et mon cheval.

Puis, à nouveau joyeuse :

Si on fait autant d'enfants qu'on a d'idées de prénoms, on aura une vraie tribu, dis donc.

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"Une vraie tribu exactement ! D'ailleurs nous allons construire une graaaaaaaande maison ici, juste là !"

Matthias s'arrêta tout net. Une nouvelle fois ca semblait être l'endroit parfait. Relâchant Naïma le jeune homme partit une nouvelle fois pour un monologue excité, tout en traçant l'espace autour de la jeune femme:

"Ici ce sera un grand salon, j'ai pensé à un excellent système de fenêtre pratique qui nous permettra de profiter de la vue. Autour nous ferons des chambres et agrandiront au fur et à mesure des besoins. Par là une cuisine ouverte sur le dehors pour les feux d'été, et une grande terrasse. Rien de plus simple j'ai déjà dessiné le plan. Plus loin un peu plus tard nous ferons une écurie, j'arriverai bien à trouver des chevaux, j'suis sur que le coin en regorge."

Une nouvelle fois le jeune excité s'interrompit pour la dévisager et sautant du coq à l'âne se mit à rire:

"Wood... Haha ! Comment n'ai-je pas deviné... Je le savais bien au fond. L'ange sauvage des forêts ! Je n'aurai pu te rencontrer nul part ailleurs que dans des bois. Tu te rends compte... bientôt 3 ans !"

Une grande maison ?
Et pourquoi plein de petites, plutôt ?
Genre une grande cuisine-salle à manger centrale. Et autour, des sortes de cases, pour dormir.
De cette façon, John et Chysis vivraient vraiment avec nous, sans se sentir mis à part. A moins que tu avais prévu de faire des chambres pour eux dans la maison. Mais là, je suis pas sure qu'ils acceptent ...
Et puis, plein de petites cases, ça fait encore plus tribu et village, qu'une seule grande maison, non ?

Puis, avec un sourire malicieux, et se voulant un peu accusateur :

3 ans, déjà ? J'ai pas vu le temps passer. Comme quoi, malgré tout ce que j'ai pu pleurer à cause de toi, les sourires que tu m'a donné m'ont fait paraître le temps bien plus court.

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Comme un gosse qui vient d'être grondé, Matthias baissa la tête et loucha sur la pointe de son pied qu'il enfonçait nerveusement dans le sol rendu meuble par le dernier orage. D'une voix faible il demanda:

"Et maintenant ? T'es un peu... heureuse, quand même ?"

Son regard se fit tendre. Elle avait réussit à le faire culpabiliser.

Je suis très heureuse.

Elle lui sourit franchement, pour appuyer ses dires.
Même si il y avait encore quelques manques qu'elle ne pourrait plus combler dans son cœur. Jonh Carver. Et Sarah.

Aussi heureuse que possible.

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"Aussi heureuse que possible". Clac. Bien fait. A force de jouer on perd parfois.
Il parodiait le gosse contrit mais ne l’était pas réellement. C’était bien plus que ça. Bien sur, il savait exactement ce qu’elle ressentait mais il aurait voulu faire semblant de ne pas savoir, qu’elle s’arrête à la première phrase, quitte à lui mentir un peu.

Matthias releva la tête.

Aussi heureuse que possible… Hé oui… Il n’avait pas fait que limiter ses possibilités de bonheur pendant un certain temps, il l’avait à jamais amputé d’une certaine part.

Son regard croisa le sien et s'y ancra. Elle souriait, franchement, tout en le lui rappelant.

A l'effet que lui faisait ce sourire, il pouvait mesurer l'ampleur de ce qu'elle avait créé en lui. Pendant quelques secondes Matthias resta sérieux avec cet air grave qu'elle n'avait vu qu'une ou deux fois, le seul qui n'était pas joué.

Il pensa au jour où il avait su qu'elle avait sur lui une influence différente de celle qu'avait pu avoir d'autres femmes. Quant au détour d'une ruelle d'Ironwood il avait eu mal pour elle, lui qui ne s'était jamais réellement soucié de quiconque.
Il pensa à ses stupides envies de prouver qu'il pouvait continuer de se foutre de tout.
Il pensa qu'elle était là, relativement heureuse, avec lui. Lui dont au fond, malgré trois années d'intimité, elle ne connaissait rien d'autre que le mal qu'il lui avait fait et les quelques sourires qu'il avait provoqué.

Sans préavis, d'un ton aussi sérieux que son expression générale:

"Merci.
D'être là.
Et pardon.
Tu m'as sauvé une seconde fois, tu sais. Si tu m'avais quitté, j'en serai réellement mort. J'aurai voulu savoir ne pas mettre ce poids sur toi mais... c'est la vérité.
Pas pour l'abandon en réalité, c'saurait été prétentieux mais... c'est comme... ce truc qu'on peut pas expliquer: "voir Naples et mourir", tu vois ? "

Elle lui caressa la joue tendrement.
Quand elle avait dit qu'elle était heureuse autant que possible, c'était surtout qu'elle ne pensait pas pouvoir être plus heureuse. Enfin, elle s'installait dans un coin tranquille, avec l'homme qu'elle aimait, et pour y fonder une famille.
Ce n'était pas parce que son bonheur était limité par les pertes et les deuils qu'elle avait commis, à cause de lui ou non.

J'ai toujours cru que cette expression signifiait qu'il était hors de question de mourir avant d'avoir vu Naples.
Alors ... Je ne suis pas sûre de comprendre le lien avec nous.
Mais pour ma part, sache qu'il est hors de question que l'un de nous deux meure avant que nos cheveux soient blancs, et nos peaux ridées.
Et jusque là, nous seront heureux sans limite. C'est un ordre !!

Elle lui sourit chaleureusement.
Elle voulait oublier toutes les épreuves douloureuses qu'ils avaient traversé. Ne garder que les bons souvenirs.
Commencer une nouvelle, vierge de tout, ou presque.