Un vieux signal...

Brumes matinales sur le désert printanier. Réveil difficile d'un sommeil agité, porteurs de songe qu'il ne veut quitter. Regard circulaire ; il se ressitue : Las Non Vegas, petite communauté fantôme (limitée à une espèce de cahute en bois à l'équilibre précaire), à une dizaine de lieues à l'Est de la prairie d'ON.

Allongé sur le sol, emmitouflé dans son pardessus gris, il râle, il maugrée, il déteste les réveils, surtout quand le sommeil est aussi bon que rare. Tout ça à cause d'un signal sonore régulier et lancinant s'échappant de sa vieille télé-phone... Il aurait du l'éteindre la veille, pour ne pas être dérangé. Mais il était tellement impatient de retrouver la délicieuse Morphée qu'il avait oublié sa résolution. Maintenant, il s'en voulait : il aurait bien extorquer une heure ou deux de repos à la nuit... Enfin, maintenant que ses paupières s'étaient levées, il était bon pour débuter une longue, très longue journée.

Il se leva, secoua ses vêtements d'un geste sec, et passa la main dans ses cheveux. Sa montre (une antiquité qu'on lui avait offert dans sa jeunesse) indiquait 6h du matin. Il s'approcha d'un petit miroir fendu, accroché au mur du cabanon. Ses cernes avait quelque peu disparu, rendant son teint moins maladif. Sa barbe commençait à devenir important : il se jura de s'en occuper dès qu'il en aurait le temps.

Après avoir pris quelque nourriture frugale (les réserves se faisant critiquement rares), il s'approcha doucement de son vieil appareil téléphonique, responsable de son réveil précoce.

Quel était donc ce Bip régulier, ressemblant vaguement à un signal de balise ..?
Il se gratta le menton, et tripota quelques boutons disposés sur la façade de son appareil.
Soudain, un signal lumineux, tel une onde sinusoïde, apparut sur l'écran monochromatique du vieil artefact.

Ses sourcils se levèrent d'étonnement. Ce signal, il le connaissait... C'était la signature hertzienne d'un des anciens membres de son abris, parti bien avant lui explorer le "Dehors". Une signature émise par une balise que tout ancien habitant du bunker se voyait remettre avant leur sortie... Cela pour favoriser l'entraide en cas de besoin, et ne pas oublier les liens tissés lors d'une longue éducation souterraine, dixit le Mentor.

Il baissa la tête, et saisit son émetteur. Court en réserve, il se réjouissait d'avoir trouvé une présence connue dans ce coin du désert, et espérait pouvoir négocier quelques rations nécessaires à sa survie.

Il posa donc son doigt sur le gros bouton rouge adjacent au microphone, et débuta une danse effrénée de BIP s'élevant dans les ondes. Il était sur que sa connaissance apprécierait la salutation : après tout, il faisait l'effort de parler dans sa langue.

".../.-/.-../..-/-/.-/-/../---/-./...//./.--
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La radio de Naïma se mit à biper, d'un seul coup. Surprise, elle regarda l'engin, ne comprenant pas tout de suite d'où venait ces bruits. Sa radio avait-elle un problème ?
Puis elle se rendit à l'évidence, ça sortait bien du haut parleur. Il s'agissait d'un message.
Elle finit par comprendre. Du morse. Cette langue, elle la connaissait. Mais elle ne l'avait pas entendue depuis longtemps.

Le premier réflexe de Naïma fut de saisir sa radio et de demander :

Eugène ?

Mais aussitôt, l'image de l'homme, au fond de sa tombe, qu'elle recouvrait elle même de terre s'imposa à elle.
A l'évidence, ça ne pouvait pas être lui.
Naïma sentit quelque chose lui transpercer l'estomac. Un gout acide remonta dans sa bouche. Elle avait espéré, pendant une seconde. Un espoir impossible. Qui faisait mal. Bien plus qu'elle ne l'avait imaginé, d'ailleurs.
Eugène ...

Les bips continuaient à sortir de sa radio.
Elle écouta attentivement. Oublier Eugène. Juste traduire.

salutations ew
suis hm
dehors depuis qq lunes
ai recu ton signal
besoin rations urgent
attends reponse

"Ton signal". Naïma n'était pas sure de comprendre. Le message était arrivé en morse. La personne cherchait-elle à contacter Eugène, justement ?
C'est vrai que cette radio avait été la sienne.
Naïma décida de répondre.

Bonjour. Je suis Naïma.
Je ne sais pas qui vous êtes. Mais si vous avez besoin d'aide, donnez nous votre position. Si nous pouvons vous aider, nous le ferons.

Naïma attendit la réponse.
Qui était cet homme. Quel était son lien avec Eugène ?
Tant de questions se bousculaient dans sa tête ...

Ses yeux se plissèrent de surprise lorsqu'il entendit une voix cristalline et féminine s'échapper du haut-parleur de sa télé-phone. Lui qui s'attendait à une série de BIP froids et discontinus, le voilà qu'on lui répondait de manière beaucoup plus commune.

Naïma ? Il ne connaissait personne de ce nom-là. Pourtant, sa fréquence semblait correspondre exactement à celle de Eugène. Sur le coup, il ne comprit pas : comment l'homme qu'il connaissait avait pu permettre à quelqu'un de porter sa balise...

Il eut un petit mouvement de tête sur la gauche, signant un stress, un énervement, une inquiétude.
Il n'y avait qu'un seul moyen d'en être sûr : lui répondre, et tirer ça au clair. Peut-être aurait-il la possibilité de négocier quelques ressources, voire une escorte jusqu'à la prochaine communauté.

Il saisit son micro, et répondit d'une voix lente et monotone :

Salutations Naïma.
Je me nomme Henri.
Je me trouve actuellement au Nord-ouest de votre position, d'après les indications de mon récepteur.
Vous émettez un signal qui ne m'est pas inconnu. Accompagneriez-vous un certain Eugène ? C'est une vieille connaissance, qui, je suis sûr, serait prêt à me dépanner de quelques vivres qui me font cruellement défaut...

J'attends votre réponse. Over.

Henri relacha le bouton émetteur et s'assit au sol... Il n'arrivait toujours pas à croire qu'Eugène, si solitaire, puisse faire parti d'un groupe de voyageurs. Il envisagea un moment qu'il ait pu être attaqué pour se faire piller son matériel... Pourtant, la voix de la jeune femme paraissait douce et pacifique... Peut-etre un piège...

Il se promettait de prendre garde, sortant comme pour s'en convaincre un vieux couteau qu'il dissimulait dans la poche intérieure de son pardessus...

Ca y était. Le lien était bien là. Le nom d'Eugène avait été mentionné.
Elle parlait avec une vieille connaissance d'Eugène. Une vieille connaissance. Qu'est ce que ça voulait dire ? Connaissant Eugène, cet homme pourrait difficilement se présenter comme un ami proche.
Naïma mis quelques secondes à reprendre le combiné, et à répondre.

Eugène. Oui, je l'ai accompagné. Pendant pas mal de temps. Mais il est mort, il y a déjà longtemps de cela.

La voix de Naïma était vide, froide. Comme encore sous le choc.
Elle tenta de se ressaisir.

Eugène vous serait sans doute venu en aide, en effet. Et nous en ferons de même, si cela nous est permis.
Nous partons de Montez Carlos, pour aller à Ironwood, vers le nord.
Si votre radio ressemble à celle d'Eugène, vos coordonnées géographiques doivent être affichées dessus. Si cela est sur notre chemin, ou que le détour n'est pas trop grand, alors je serais ravie de faire votre connaissance.

Peut être en apprendrait-elle davantage sur Eugène. Peut être comprendrait-elle des choses sur lui.
Une part d'elle même bouillait d'impatience.
Et une autre lui rappelait que malgré tout, ce n'était pas Eugène. Que Eugène était perdu à jamais.

Mais il est mort, il y a déjà longtemps de cela.

A cette phrase lancée d'une voix faible par la dénommée Naïma, Henri ferma les yeux, recula la tête pour appuyer la nuque contre ses épaules, et prit une profonde inspiration. Cette nouvelle, bizarrement, ne l'emplissait pas d'une profonde tristesse (la fatigue a pour effet pervers de dompter les émotions...). Henri raisonnait de manière beaucoup plus pragmatique : Eugène avait été un des éléments les plus solides et débrouillards de sa communauté sous-terraine : toujours consciencieux, appliqué, observateur, méticuleux... Cela n'avait pas suffit à lui éviter une mort visiblement rapide dans cette Terre. C'est cette idée qui l'inquiétait : comment lui, beaucoup moins brillant et taillé pour la survie, pourrait-il s'en sortir ????

Il respira doucement, essayant de calmer une anxiété qui prenait rapidement possession de son Moi intérieur. Sans succès...
Il prit alors rapidement dans l'une de ses poches une vieille boite métallique patinée. Elle ressemblait à une ancienne boite de cachou, petite et arrondie. Mais sa conception était beaucoup plus luxueuse, avec de fines gravures ondulantes, ainsi que les initiales "HM" posées sur l'une des faces.
Il l'ouvrit d'une main tremblante, et en sortit un petit comprimé pâle qu'il avala d'un trait.

L'effet fut rapide : les oscillations de ses doigts s'arrêtèrent, la sueur déserta son front et ses tempes.

Enfin détendu, il saisit sa télé-phone et répondit d'une voix toujours monotone, sans rythme :

Nous disposons en effet du même matériel, Eugène et moi.
Mon antique télé-phone m'indique que je me trouve à une dizaine de lieues au Nord-Ouest de votre position.
A la vue de mes maigres ressources, je pense pouvoir encore survivre 2 lunes de marche intensive. Je vais donc essayer de me diriger vers votre chemin, profitant avec plaisir de l'aide que vous me proposez.

Soudain, son regard se figea et il serra son bras libre contre son corps, pour sentir tout contre lui sa lame dissimulée dans son étui. Il se devait d'être discret : rien dans les paroles candides de la jeune femme n'éliminait l'idée de pillage. Aussi continue-t-il :

Puis-je vous demander si vous voyagez seule, Naïma ? Le désert est souvent fatale à une personne isolée... Vous avez dit avoir accompagnée Eugène... L'êtes vous vous-même actuellement ?

Oui, je suis accompagnée.

Elle cru sentir une petite touche d'inquiétude dans le voix. Rien de grave, juste une petite touche. Mais Naïma la comprenait.
L'homme s'apprêtait à rejoindre un groupe, et donc à remettre sa vie entre leurs mains, sur la seule parole qu'elle avait été une compagne de voyage d'Eugène. Ce fait semblait inspirer confiance à l'homme, mais il ne pouvait avoir aucune preuve.
Elle avait rencontré dans ce désert des gens capables de tuer, de voler la radio, et de raconter le même genre de parole, pour attirer et tuer à leur tour d'autres personnes.
La confiance ne s'accordait pas facilement, en ce monde.

Je suis avec 5 autres personnes. Des compagnons fiables, et d'autres, que je connais moins, mais qui me paraissent sans danger.
A vrai dire, s'ils avaient été dangereux, nous aurions sans doute été de leurs victimes.

Naïma se rendit compte qu'elle même avait tendance à croire cet homme, quand il disait être faible. Son premier message, où il cherchait à contacter Eugène, la faisait croire qu'il avait vraiment besoin d'aide.
Mais face à eux, serait-il aussi fragile qu'il le disait ? Ou les attaquerait-il pour prendre leurs provisions, et s'enfuir avec.

Naïma jeta un coup d'œil à sa troupe. Ils étaient sans doute trop nombreux pour un homme seul. Le danger n'était pas si grand, finalement.

Bien, alors je vous dis à bientôt. Si nos radio ne se trompent pas, nous devrions nous retrouver d'ici peu.