Quelques vieilles pages jaunies...

Journée sans histoire, comme les autres... Passée à ramasser quelques plantes transformées bientôt en onguent, potion, et remède pour le groupe...
Journée éreintante, comme les autres... Sous la châleur d'un soleil revanchard, bien décidé à prouver qu'il demeure l'astre divin.
Journée silencieuse, comme les autres... Entrecoupée seulement de naïves gamineries entre Matthias et Jade, et de lourds regards mélancoliques lancés à lui tels des souvenirs douloureux par la brune Naïma.

19h30 à sa montre, Henri rentre enfin... Bientôt libéré de l'emprise solaire, bientôt compagnon de la nuit. Il n'est pas fait pour la cueillette, vraiment... Mais il s'y adonne par nécessité, par besoin communautaire...

Besoin de réconfort à la nuit tombée.

Alors, il va à son bivouac, et fouille dans son sac. Il en sort son trésor, et l'amène avec précaution près du feu qui danse au milieu du camp.
Sa main rugueuse parcourt l'objet, effleurant avec un soin tout particulier une couverture glacée et craquelée. Ses doigts chassent la poussière, brisent l'anonymat de l'ouvrage : "Minéraux et Pierres : Atlas moderne de poche"

Assis en tailleur, humidifiant légèrement son pouce, il parcourt doucement les vieilles pages jaunies de ce témoignage d'antan, seul souvenir de l'ancienne bibliothèque de son enfance.

Page 17, une photo attire l'oeil : Améthyste

Sur la page de droite, quelques mots explicatifs vibrent au gré de la lueur des flammes toutes proches :

L’améthyste est une variété de quartz violet (dioxyde de silicium), diaphane à translucide dont la teinte est due aux traces de fer

Sa préférée... Sombre comme les ténèbres dont il est l'ami, mystérieuse comme son âme, précieuse comme les êtres qu'il veille...
Il poursuit...

Les noces d'améthyste symbolisent les 48 ans de mariage dans le folklore français.
L'améthyste est la pierre fine ornant la bague des évêques.
Jadis, elle était réputée pour combattre l'intoxication alcoolique, stimuler la créativité, la méditation et les rêves prophétiques. Elle permettrait d'annihiler les envoûtements d'un amoureux jaloux, d'éloigner les mauvaises femmes et les vipères. Placée la nuit sous un oreiller elle permettrait de lutter contre l'insomnie..

Il lève les yeux, et tourne la page, avant de replonger dans les écrits, captivé...

Nombre de messages : 318 Date d'inscription : 11/05/2008

-c'est quoi ?

C'est la question simple d'un curieux arrivant comme une mouche sur le crane d'un moine tibétain en pleine méditation. Alopias ayant trouvé dans l'interminable séance d'épilation de Jade l'occasion de se balader et de lire discrètement par-dessus l'épaule d'Henri trop concentré pour remarquer sa présence.

-C'est pas un manuel de géologie connu, c'est clair ! Il y a les données liées à la prospection et l'utilisation pratique des minéraux ?

Il vient se placer à coté de lui, le regardant droit dans les yeux, hésitant visiblement à parler franchement de ce qu'il pense avant de lui sourire timidement et d'oser reprendre la parole.

-Tu vois Henri ? De 6 à 15 ans, ma vie s'est résumée à une seule chose… faire la différence entre les livres utiles et inutiles dans les ruines d'une bibliothèque écroulée en évitant de me prendre des tonnes de décombres sur moi en enlevant d'une pile de livres porteuse les plans d'assemblage d'une pompe hydraulique.

Il désigne le livre du bout du doigt, interrogeant l'homme du regard.

-A première vue, si j'étais sortit des décombres instables qui s'effondraient régulièrement sur les copains avec un livre comme ça, je me serais prit la même rouste de la part du "responsable culturel" qu'avec un magazine porno. Pourtant, l'un comme l'autre trouvait toujours acheteur… j'ai fini rapidement par comprendre pour les magazines, j'en avais même fait un commerce lucratif… mais pour les bouquins comme ça… je n'ai jamais pigé… tu m'expliques ?

Calmement, Henri termine sa page... Ses yeux dansent étrangement, tantôt à gauche, puis à droite, dans un nystagmus littéraire. Puis, doucement, il lève les yeux en refermant sa lecture...
Alopias, devant lui, le scrute d'un oeil interrogateur, curieux, dévoilant une certaine incompréhension...

Alors, Henri prend la parole, d'une voix monotone, fatiguée :

"Je ne sais que te répondre, Alopias...
Peut-être que certaines personnes trouvent dans ces ouvrages à priori sans intérêt une satisfaction équivalente à la lecture plus instinctive des magazines dont tu parles..."

Il se tait, quelques instants, fixant son interlocuteur, l'étudiant posément...

"C'est mon cas."

Sa main glisse sur l'ouvrage, le caresse, presque avec tendresse. Le geste est délicat, suave, quasi-sensuel. Un sourire serein, de satisfaction, parcourt les lèvres fines d'Henri. Il reprend :

"Tu ne vois peut-être qu'un amoncellement de feuilles inutiles, un poids superflu dans un sac à dos. Ou une petite collection de fin papier dont le but pragmatique est d'allumer un feu pour se chauffer et se nourrir. Je le conçois...
Mais pour moi, cela à un sens, une signification, un symbole... Il me rappelle mon passé, mes souvenirs, certaines connaissances disparues."

Quelques instants de silence...

"... Surtout, ce livre pourtant anodin me différencie de l'animal qui tente seulement de survivre. Il me définit en tant qu'Homme : un être capable de lire, de penser, d'aller au-delà d'un simple instinct sauvage. Et ça, ça m'est très important...

Voilà, je ne peux te dire mieux."

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Alopias écoute l'explication tout en remettant un peu de bois vert dans le feu, ça éclate, les flammèches bondissent en dehors du petit cercle de pierre pour venir mourir sur le carré de sable. La voix de son interlocuteur se meurt sur une dernière évidence, laissant à Alopias un sentiment visible de frustration, sa question restant apparemment entière.

Alopias étudie le livre entre les mains d'Henri, un livre simple, léger… la douceur et le soin qu'il porte à cet ouvrage laisse presque penser à un homme caressant sa compagne... ou même son bébé. Alopias se lance dans l'examen des doigts posé sur l'ouvrage, cherchant la trace d'une alliance sur l'annulaire gauche de l'homme concentré sur ses réflexions.

Détournant la tête, il lève et regarde sa propre main, une main marquée par le travail, couverte d'écorchures, ce cicatrices, mais pas le moindre anneau n'a jamais eu sa place sur son doigt, pourtant il a eu des compagnes, et même un fils. Sa main se crispe, ses ongles se plantant presque dans la paume de sa main pour le réveiller de sa pensée et marmonner quelques mots à l'intention d'Henri.

-Je crois que tu n'as pas compris, je connais la valeur des souvenirs, mon sac en est plein et ils sont aussi lourd sur mon dos que dans mon cœur… je t'interrogeais sur la valeur de ce que contient ce livre par lui-même, j'ai connu des gens s'arrachant ce genre de bouquins sans pour autant que ça n'ai la moindre valeur sentimentale à leurs yeux. A quoi ça peut bien servir de savoir qu'un pape à porté ce genre de babioles ? Ou que des illuminé on déterminé personne ne sait comment que les cailloux avait des vertus curatives ? D'ailleurs, j'aimerais bien savoir ce que dit ton livre sur la Jade ?

Lorsque Henri saisit les mots lancés de manière sèche par Alopias, son visage se fige quelques secondes, troublé par l'aura de colère qui semble se dégager de son interlocuteur, autant par ses paroles que par son regard...

Henri n'a pour réponse immédiate qu'un sourire. Pas le sourire pincé habituel, froid et impersonnel. Non, un sourire franc, large, sincère, amical.

Sa bouche s'ouvre, laissant filer des mots beaucoup plus doux, beaucoup moins aseptisés :

"Justement Alopias : tout ça ne sert à rien...
Ces écrits n'ont aucune utilité en tant que tels ; pourtant, sans que je puisse te dire pourquoi, cela me procure un vrai bien-être de les lire, même si j'ai conscience que c'est totalement stérile.

Attends, je vais te montrer..."

Ses doigts rugueux ouvrent précautionneusement l'ouvrage, et font défiler avec une certaine dextérité les fragiles pages jaunies. Une fois la valse du papier terminée, son bras se tend, offrant le frêle manuel à Alopias, dévoilant une double-page glacée à la teinte verte.

Jade.

Le jade, en chinois " Yu ", est un silicate d'alumine et de chaux de la famille des augites qui se présente sous la forme d'une pierre dure et translucide, d'un grain très fin, lisse et extrêmement serré

Le jade possède des propriétés très résistantes. Dans les temps préhistoriques, on l'utilisait déjà dans la confection des armes. Introduit plus tard dans le culte des dieux, le jade fut sculpté en figurines sacrées. Ce sont les Espagnols qui baptisèrent cette pierre " piedra de ijada "(pierre des flancs) lors de la conquête des Amériques.

Des milliers d'années durant, le jade fut un symbole d'amour, de vertu en même temps qu'il était un signe extérieur de statut social. De tout temps, il a été le symbole des dynasties impériales par excellence. Le jade est la pierre de prédilection des Chinois, ils en portent toujours une lorsqu'ils négocient, car elle favorise l'honnêteté et la justice. Il est aussi utilisé par les guérisseurs traditionnels qui en appréciaient les hautes vertus.

En miroir du texte, une jolie photo craquelée, dévoilant une pierre au ton olive, crémeux, doux, suave.

Henri observe Alopias qui termine sa lecture, et demande, interrogatif, feutré:

"Magnifique, n'est-ce pas...?
Tu comprends mieux quelle valeur peuvent avoir de livres pareils, maintenant ?"

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Alopias explore le livre, ses doigts caressant avec un soin quasi religieux les pages du "bouquin" pour les tourner avant de revenir à la page concernant le jade.

-Tu vois, je suis tenté de croire à des tas de troublantes coïncidences en lisant ça et en le comparant à notre Jade à nous, ça me fait sourire et ça m'amuse, c'est vrai. Mais à la relecture, si on examine bien…

-Notre Jade peut être à la rigueur qualifiée de translucide, car même dépourvue de parole on arrive à lire en elle, et le grain de sa peau est fin et lisse, c'est vrai ! Mais en aucun cas elle ne peut être qualifiée de dure ou de résistante, et je l'imagine encore moins entrer dans la composition d'une arme.

-Même si les symboles d'amour et de vertu me fait penser à elle, je ne trouve rien d'impérial dans sa façon d'agir vu que c'est sa simplicité et son naturel qui me séduit en elle. Quant à l'honnêteté et la justice, ce sont des valeurs bien trop abstraites à présent pour moi pour que je puisse les comparer à quoi que ce soit.

-Sur les vertus médicinales, il est clair que notre Jade semble avoir un coté assez puissant, mais comme tout médicaments prit à hautes doses, il finit souvent par devenir indispensable à ta survie. Pire qu'avec drogue dont on peut toujours espérer décrocher avec de l'aide ou de la volonté, il devient une partie de toi-même car il n'est plus là pour t'apporter du plaisir, mais pour compenser tes faiblesses ou remplacer tes manques.

-Je ne veux pas que Jade sois mon médicament, je veux qu'elle soit ma drogue douce, celle qui m'apporte du plaisir… mais ma survie et ma guérison, c'est moi que ça regarde !

-Donc ce livre n'apporte que ce que l'on veut bien y lire, et moi je lis les mêmes choses en regardant les nuages ou les étoiles, et c'est bien moins lourd dans mon sac.

Il ferme le livre après sa démonstration, le tendant vers Henri en souriant.

-Oui, je pense avoir compris la valeur de ton livre, mais avec mon tempérament, il me faudrait bien plus qu'un sac pour amener tout ce que je voudrais consulter le soir au coin du feu avec moi.

Henri récupère l'ouvrage, y passe instinctivement les doigts dessus comme pour se le réapproprier, comme pour se faire pardonner d'avoir passé l'ouvrage à un autre. Il avait écouté la longue tirade d'Alopias silencieusement, avec un sourire de circonstance, dont la sincérité se teintaient au fur et à mesure des mots de sa froideur habituelle.

Une fois l'objet en main, il répondit lentement :

"Tu sais, à chacun sa sensibilité... Toi, les nuages et le ciel, moi les livres : très bien.
Quant à la longue et massive interprétation que tu fais, je ne sais quoi te dire : je ne connais pas très bien Jade... Enfin, pas aussi profondément..."

L'Homme sombre arbore un sourire en coin, un brin amusé, un brin cynique, puis lache :

"Je vais poursuivre ma lecture, si tu me le permets..."

Ses yeux se baissent, et toute son âme se plonge dans les lignes imprimées de vieilles lettres noires à la teinte effacée. En silence, dans sa bulle...

» Quelques heures de terre ferme...