Meurtre silencieux

Depuis des semaines, il fallait supporter la vue d'Henri. Si près. Bien trop près.
Son humeur s'en faisait ressentir. Elle était silencieuse, et devenait irritable.
Il était temps que cela cesse.

La fiole dans sa poche lui faisait de plus en plus envie.
Elle avait réfléchi à tellement de façons de lui donner ...
Dans la nourriture. Mais elle serait obligée de lui donner une ration à part, et de venir jusqu'à lui pour ça. Trop louche.
Dans l'eau. Mais elle empoisonnerai tout le monde.

Il restait le meilleur moyen : directement dans le sang, par une blessure.
Mais comment blesser Henri ? A l'arc ? A la lance ?
Non. Naïma ne voulait pas que Onze sache ...

Une petite blessure, qui pourrait passer pour une coupure banale.
A le base de la cheville, incisée pendant le sommeil. Mais Henri ne dormait pas ...

Pendant des jours, elle avait réfléchi à la façon de lui donner le poison.
Et puis un jour ...

Un insecte vint la piquer dans le cou, en plein jour. La piqure fut petite, mais douloureuse.
Et Naïma su ...
Une piqure, qui pourrait passer pour celle d'un insecte.

Elle prépara de minuscules aiguilles, et une sarbacane.
Pendant des jours, elle s'entraina à lancer ses aiguilles.
Et quand elle fut prête, elle se mit à l'affut, et surveilla le camp installé si près ...

Quelques sarbacanes enduites de poison à ses cotés, la sarbacane à la main.
Matthias la surveillant, pour une fois, extrèmement calme.
Cinoque non loin. Il l'avait surpris un jour qu'elle s'entrainait. Et sans savoir pourquoi, Naïma lui avait tout raconté. Matthias lui en avait voulu, mais Naïma ne l'avait pas regretté.
Ils étaient là, tous deux, à la regarder.
Leur soutien était silencieux, mais présent.

Elle inspira, porta la sarbacane à sa bouche, et souffla.

Henri se claqua le cou, et chercha des yeux un insecte qui aurait pu lui infliger cette piqure.

Naïma rabaissa la sarbacane, un léger sourire aux lèvres.
Une phrase qu'elle avait entendue petite lui revint en mémoire.
"La messe est dite".

Nombre de messages : 1225 Date d'inscription : 08/06/2008

Elle avait procédé à l'exécution de son plan. Matthias la surveillant, pour une fois, extrêmement calme.
Il la fixait, appuyé à un arbre... comme il le faisait souvent, à quelques mètres de là.

Rien de suspect dans son attitude, habituelle dégaine nonchalante. Ils auraient pu être proches, ils auraient pu être amis, ça s'était joué à un geste près, à une fraction de seconde, il y a des lunes de cela...
La mort prochaine d'Henri lui était indifférente.

Elle sourit.
Distinctement, il la vit sourire et il eut un fugace haut le cœur.

Elle lui avait demandé son soutien. Il donnait une attention dénuée de jugement. Il était conscient d'être aussi responsable qu'elle dans cet acte, plus même peut être mais la mort prochaine d'Henri lui était indifférente.

Elle sourit.
Distinctement, il la vit sourire et il s'éloigna tranquillement pour aller crayonner... comme il le faisait souvent.

Elle revint le submerger, cette envie. Cette putain d'envie de se désouder les sens à coups de drogues.
Pourtant... Pourtant la mort prochaine d'Henri lui était tout à fait indifférente.

Calmement il mit ses lunettes et déplia sa carte.

Elle avait sourit.
Distinctement...

Nombre de messages : 748 Date d'inscription : 07/07/2008

Seule sous sa tente avec Sarah, Onze chantonnait doucement une berceuse tout en nourrissant la petite. L'hiver était toujours présent, froid et humide, et la jeune maman tentait de mettre le nourrisson le moins possible au contact de l'air glacé, redoutant une quelconque maladie. Aussi Onze passait-elle énormément de temps isolée avec sa fille, ne sortant principalement que pour les productions, les déplacements et les repas...

Quelques minutes plus tard, le bambin s'endormit, après avoir satisfait son appétit vorace. Légèrement courbaturée, Onze s'étira, savourant d'avance le massage que lui offrirait Henri lorsqu'il arriverait. Peu loquace et encore moins démonstratif, il était pourtant toujours dans l'ombre de Onze, et il retrouvait tous les jours, pour quelques heures, sa fille et sa maitresse sous leur abri.

Toutefois, Onze commença à trouver le temps long. L'attente lui paraissait interminable aujourd'hui... Elle reconnaissait certes n'être guère encline à la patience mais Henri était un homme ponctuel, arrivant toujours au début de la sieste de sa fille pour profiter ainsi de quelques moments de calme avec la nouvelle maman...

S'en fut trop. Passablement énervée, vexée qu'on la fasse attendre, la jeune femme jeta un oeil sur Sarah, vérifia qu'elle dormait profondément et se décida à sortir. Aucun Henri en vue au centre du campement, ce qui n'étonna guère Onze qui se dirigea vers la tente de l'homme, légèrement en retrait des autres.

Ce fut à ce moment là qu'elle aperçut une ombre noire étendue à quelques pas de l'abri. Le coeur de la jeune femme manqua un battement. Elle couru alors pour trouver Henri allongé sur le ventre, comme évanoui.

Paniquée et désemparée, Onze se jeta au sol et le retourna sans ménagement, dégageant les longs cheveux bruns du visage de l'homme qu'elle aimait...

Henri ? ... Tu m'entends ? HENRI ?!

Sa main glissa le long de la joue masculine pour se promener sur le cou, cherchant désespérément le pouls, tandis que des larmes se mirent à rouler sur les joues blanchies de la jeune femme. Elle comprenait ce qu'il se passait mais refusait de l'admettre.

Un cri déchira sa gorge pendant que ses poings frappaient frénétiquement la poitrine de l'homme...

Heeeeeeeeeeeeeenriiii !!

Des sanglots finirent par briser sa voix. Elle avait l'impression que le monde s'écroulait autour d'elle. Recroquevillée contre le corps de son amant, la tête posée sur le torse, une main posée sur la joue du défunt, Onze alternait pleurs et cris...

Nombre de messages : 1225 Date d'inscription : 08/06/2008

Derrière Onze, Matthias attendit. Il ne se donna pas la peine de prendre le pouls de l'homme et l'observa simplement. C'était difficile de définir l'expression de son visage, c'était Henri, mais il ne semblait pas exprimer de souffrance. Tant mieux, celle de la jeune femme suffisait bien.

Au bout d'un long moment, il posa sa main sur l'épaule de l'épleurée qu'il serra un peu. Ami attentif, amant malhonnête.
Il prononca doucement le début de son nom, sans doute pour la première fois:

"Onze..."

Nombre de messages : 748 Date d'inscription : 07/07/2008

Enfermée dans sa bulle, la jeune femme n'avait plus conscience de ce qui l'entourait, hormis son esprit qui n'était tourné que vers Henri. Le froid l'enveloppait sans qu'elle ne s'en rendit compte et ses joues commençaient à prendre une légère coloration marbrée sous les larmes glacées qui les couvraient...

La main de Matthias la ramena quelques instants à la réalité. D'un geste rude et agacé de l'épaule, elle se libéra de l'étreinte pour faire face au jeune femme. Ses yeux rougis n'exprimaient qu'une douleur proche du délire et elle lui hurla :

Ne me touches pas !

De ses mains tremblantes elle caressa le visage d'Henri et se pencha pour appuyer un baiser sur les lèvres inertes...

Réveilles toi Henri... Réveilles toi... Viens jouer avec Sarah... Oh Henri... Réveilles toi...

Nombre de messages : 1225 Date d'inscription : 08/06/2008

"Viens jouer"... A ces mots Matthias réprima un rire qui se mua en un silencieux rictus narquois.

Il recula. Restant néanmoins à proximité. Elle firait bien par se calmer sous le coup de la fatigue ou devant la nécessité de retourner nourrir sa fille...

Elle entendit les cris et les pleurs de Onze, et une part d'elle s'en émut.
La douleur de la jeune femme paraissait palpable dans l'air.

Mais Naïma ne montra rien de ses sentiments.
Ni sa peine pour Onze, ni son contentement pour Henri.
Elle avait fait ce qu'elle devait, pour rester libre, pour rester saine d'esprit, pour rester elle-même.

Matthias s'occuperait de Onze quand elle serait disposée à se laisser faire.
Elle-même prendrait soin d'elle. Les deuils, elle en avait connu assez pour savoir.

Pour le moment, elle avait autre chose à faire.
Elle se releva et alla vers sa tente.
Au passage, elle jeta dans le feu les aiguilles de secours et la sarbacane.
La fiole, quant à elle, allait rejoindre les autres dans sa besace.

Nombre de messages : 162 Date d'inscription : 08/07/2008

Un cri. John rêvassait dans sa tente, puis un cri le tira de sa torpeur. Aussitôt il se précipita dehors.

Là il vit. Onze à genoux. Matthias quelques pas derrière. Naïma se dirigeant vers sa tente.

Puis il vit Henri. Allongé. Immobile. Pale.

John ne sut comment réagir. Il ne comprenais pas ce qu'il ressentait. Il n'avait jamais été proche d'Henri, il n'avait plus confiance en lui. Mais il ne le haïssait pas.

Puis il se tourna vers Naïma. Il venait de comprendre. Il croisa son regard. Il commenca à se crisper. Il serra les dents, fronça les sourcils, ferma les poings. C'était le première fois qu'il ressentait ça.

Il continua de la dévisager un moment, tout tremblant.

Toi...

Elle s'arrêta quand elle sentit le regard de John.
Son regard dur ...

Elle affronta son regard.
Il avait sans aucun doute compris, c'est vrai.
Mais la vraie question était de savoir pourquoi ce regard ? Parce qu'elle avait tué froidement et que cela le répugnait ? Parce qu'il ne comprenait pas qu'elle ai pu changer comme ça ?
Quelle importance ...

Moi quoi, John ...

Elle l'avait dit doucement, presque tendrement.
Oui, elle avait changé. Elle changeait un peu plus chaque jour. Seulement, aujourd'hui seulement, les gens pourraient s'en rendre compte.

Naïma la douce était morte il avait très longtemps.
Les gens ne l'avaient pas compris, c'est tout.

Nombre de messages : 162 Date d'inscription : 08/07/2008

Tu...

John ne trouvait pas les mots. Il avait envie de dire énormément de choses. Qu'il avait crut en elle, qu'il lui avait fait confiance, qu'il pensait qu'elle croyait réellement en ses idéaux.

Une désillusion de plus. Et John n'arrivait toujours pas à s'y faire. Tout son corps se relâcha, et son visage se transforma en une expression de tristesse. On eu dit qu'il était au bord des larmes.

Tu m' écœure.

Voilà. John retourna sous sa tente. Il avait dit ce qu'il voulait dire. A peu près.

Nombre de messages : 748 Date d'inscription : 07/07/2008

Les minutes défilèrent, longues et pesantes. Le temps n'avait plus d'emprise sur celle qui s'appelait Onze heures Trente...
Les pleurs semblaient intarissables et la voix de la jeune femme, telle une litanie, continuait à exhorter Henri de se réveiller.

Vide. C'était ainsi que se sentait Onze. Vide et seule. Désespérément seule. Plus jamais la présence d'Henri ne pourrait la réconforter. Plus jamais elle ne sentirait protégée. Plus jamais elle ne sentirait en confiance. Et jamais Sarah ne connaitrait son père...

La subtile part en elle qui était encore Sophie, qui était encore capable d'aimer et d'espérer, venait de s'évaporer devant le cadavre de l'homme que Onze chérissait...

Elle frissonna. Le froid l'atteignait enfin. Son corps semblait avoir la même température que celui d'Henri. Onze se cala un peu plus contre lui, non pour tenter de se réchauffer mais simplement par abandon...

Nombre de messages : 1225 Date d'inscription : 08/06/2008

Les minutes s’égrenèrent et la patience n’était certainement pas le point fort (si tant est qu'il en ait un) de Matthias.

Haussant les épaules, il retourna vers la chaleur du feu de camp. Demain il faudrait enterrer feu Batman l’homme de l’ombre et la nuit s’annonçait d’une longueur fastidieuse. Si Sarah criait il irait la chercher et la bercer, si Onze revenait, certainement serait-il gentil. Au pire irait-il veiller d’ici quelques temps qu’elle ne meure pas de froid…

En attendant, il avait faim ! Piquant quelques brochettes à griller, il demanda nonchalamment à Alicanta et Jack :

« Hey ? Vous en voulez, z’avez faim ? »

Elle ne s'attendait pas à ce qu'il comprenne.
Au mieux, elle espérait qu'il n'irait pas crier sur les toits ce qu'il avait compris. Que cela resterait comme un non-dit entre eux.
Avec un peu de chance, les autres ne comprendraient pas.

De toute façon, c'était fait. Elle ne pouvait plus rien changer.
Ils pouvaient la bannir, comme elle l'avait fait avec Henri et Onze. Mais cela n'avait plus d'importance pour elle.
Ce soir, Pherusa brillerait un peu plus fort dans le ciel, et c'était tout ce qui comptait pour elle.
Si les autres la jugeaient et qu'elle devait partir, elle partirait.

Tout était fini.

Nombre de messages : 10 Date d'inscription : 18/12/2008

Dans son berceau de fortune, Sarah se mit à gigoter. La petite finit par ouvrir les yeux et poussa un léger cri, à la recherche du réconfort maternel...

Le bébé poussa un deuxième cri pour se faire entendre et devant l'absence de réaction de sa mère, Sarah se mit à pleurer de plus bel...

Nombre de messages : 1225 Date d'inscription : 08/06/2008

Matthias se pencha au dessus de l'enfant pour la prendre dans ses bras. Besoin d'être changée ? Non, apparemment pas dans l'immédiat et Matthias en fut plutôt content. Il l'emmitoufla en lui parlant doucement et sortit avec elle pour reprendre sa place près de la source de chaleur.
Le jeune homme sourit au bébé qu'il berçait contre lui.

"Hey grenouille. Faut être bien sage et arrêter de coasser, ta maman est très malheureuse tu sais. On ira la voir un peu plus tard, d'accord ? Elle te donnera à manger, puis vous dormirez toutes les deux. "

Nombre de messages : 748 Date d'inscription : 07/07/2008

Onze n'avait pas entendu les cris de sa fille et à vrai dire la jeune femme était bien loin de se préoccuper du bébé...
Elle semblait s'être calmée, tout du moins ne l'entendait-on plus pleurer ou parler à Henri. Elle remua doucement, ses muscles endormis par le froid lui faisaient mal mais elle parvint à s'assoir aux côtés du défunt.

Sa main glissa dans le pardessus d'Henri, avec une exactitude déconcertante. Lorsqu'elle la retira, Onze tenait la précieuse petite boite métallique de son amant, cette boite qu'elle avait tant maudite pour ce qu'elle contenait. Elle l'ouvrit et fit rouler dans sa paume les quelques comprimés blancs qui restaient, dont l'un tomba à terre près d'elle. Elle ne s'en soucia pas. Il y en avait assez. Un sourire flotta un instant sur ses lèvres pâles. La seconde suivante, les pilules franchissaient ces mêmes lèvres...

Onze glissa la boite vide dans sa chaussure, pour que personne ne lui vole. Elle déposa ensuite un nouveau baiser sur les lèvres d'Henri et s'allongea une dernière fois à côté de lui, ses paupières closes, son corps engourdi et ses pensées déjà lointaines...

Nombre de messages : 10 Date d'inscription : 18/12/2008

On l'avait porté et on la berçait maintenant, mais ce n'était pas sa mère qui le faisait. Sarah porta ses grands yeux verts sur Matthias. Elle connaissait sa voix, elle l'avait souvent entendu auparavant, lorsqu'elle n'était pas encore née, et le nourrisson se sentit en confiance.

Elle gazouilla pendant quelques minutes et finit par attraper dans sa petite main l'index du jeune homme. Mais à cet âge là, on ne fait pas la conversation pendant longtemps, et Sarah se rendormit, blottie dans les bras de Matthias, emprisonnant toujours son doigt...

Nombre de messages : 1225 Date d'inscription : 08/06/2008

Le sentiment de sécurité était une chose, la faim en était une autre. Bientôt Sarah s'agita à nouveau et Matthias lui dit en se levant.

"Allez viens Grenouille, bondissons jusqu'à ta maman avant quelle ne finisse en glaçon."

Un peu plus loin après avoir légèrement secoué l'épaule de la mère, après avoir constaté l'absence de réaction et apercu le cachet suspect à terre, le jeune homme parla à nouveau au nourrisson.

"Tu vois Grenouille, nous, pauvres Hommes, refusons de comprendre que toute chose est éphémère. Ta jolie maman décide de jouer à Roméo et Juliette, par chance elle n'avait pas de poignard. J'espère que tu n'hériteras pas de son sens du tragique..."

Se redressant il sourit à Sarah qui le regardait tandis qu'il lui parlait. Quelques secondes plus tard, il se plantait devant Naïma. Et de lui dire d'un ton flegmatique:

"Cher ange, donne moi un puissant vomitif. Puis tiens l'enfant quelques minutes, veux-tu. Il y a une mère à secourir."

Naïma était ressortit de sa tente. Elle avait fait ce qu'elle avait à faire.
Depuis, elle vaquait à ses occupations normales.

Elle avait entendu Sarah pleurer, et avait vu Matthias se diriger vers la tente. Peu de temps après, les pleurs avaient cessé.
Ceux de Onze aussi.

Quand Matthias se planta devant elle, et dit sans panique ni inquiétude qu'il avait besoin d'un vomitif pour sauver Onze, elle comprit soudain pourquoi les gémissements s'étaient tus.
Elle se précipita dans sa tente, et en ressortit avec sa besace.

Que s'est-il passé ?
Toi, tu gardes Sarah, je vais m'occuper de Onze.
Par contre, tu viens avec moi.

Ils arrivèrent très vite auprès des deux corps.
Naïma se pencha sur Onze. Elle respirait. Doucement, mais surement.
Elle ne savait pas ce qu'il s'était passé, et cela ne l'aidait pas pour soigner la jeune maman.
Elle se mit à l'ausculter entièrement, pour tenter de comprendre.

Et intérieurement, elle hurlait sur Onze.
Elle aurait voulu le faire en vrai, mais la présence de Matthias l'en empêchait. Et elle gardait tout pour quand la jeune femme serait réveillée.

Elle avait surmonté la mort de son époux.
Elle avait surmonté les morts de tant de gens, alors que rien ne la retenait dans ce monde.
Et alors qu'enfin elle avait une raison. Une vraie raison, un enfant sur qui veiller, elle se laissait abattre et tentait stupidement de mettre fin à ses jours.

Son énervement était tel que des mots franchirent malgré tout ses lèvres.

Tu vas pas t'en tirer comme ça, Onze.
T'as pas fini de me supporter !!

Nombre de messages : 748 Date d'inscription : 07/07/2008

La jeune femme n'entendait rien. Elle ne sentait pas non plus les mains de Naïma qui l'examinaient. Elle ne sentait pas les mains qui doucement lui soulevaient la tête pour lui administrer une mystérieuse potion médicinale.

Elle était loin, très loin, entourée d'une brume duveteuse dans laquelle elle s'empêtrait, incapable d'y distinguer quoique ce soit. Mais soudain elle ressentit une vague de chaleur. Bientôt ce fut comme une brulure qui lui rongeait le corps, une douleur qu'elle devait expier.

Dans un spasme violent, les yeux exorbités, Onze se rassit brusquement, semblant s'étrangler et cherchant difficilement à respirer. Presque à 4 pattes, elle se traina sur un ou deux mètres, enfonçant ses ongles dans la terre gelée. Et enfin, la potion de Naïma fit son effet. Dans un mélange de bile et de sang, la jeune maman recracha les somnifères avalés...

Quelques minutes s'étaient écoulées. Onze restait silencieuse mais ses yeux ne reflétaient que des nuances de peur et de folie, son esprit voguant encore dans les méandres des drogues...

Elle vomit. Et les pilules encore non digérées ressortirent du corps de Onze.
Trop de pilules.

Elle restait là, assise par terre, les yeux dans le vague, sans sembler comprendre ce qui l'entourait, sans sembler chercher à comprendre.
Sans même sembler savoir qu'elle pourrait comprendre.
Le regard de quelqu'un qui pourrait rester éternellement comme ça ...

Naïma s'assit doucement à coté d'elle, passa délicatement un bras autour d'elle, et l'attira tendrement vers elle.
Pour lui donner de la chaleur, un réconfort ... Elle ne savait pas exactement pourquoi, mais elle sentait que c'était ce qu'elle devait faire.

Nombre de messages : 1225 Date d'inscription : 08/06/2008

Naïma prit l'égarée dans ses bras et Matthias soupira. En d'autre temps et s'il avait du s'en occuper il l'aurait probablement ramené à sa tente en lui collant une claque.
Au lieu de cela il baisa les yeux sur l'enfant qu'il tenait et qui commençait justement à le regarder de travers. Sourcils froncés, début de grognement... Matthias lui sourit à nouveau:

"Ouais hein, j'pense aussi que c'est un mauvais jour pour mourir, fait bien trop froid. Allons-nous en. C'pas un endroit pour les bébé grenouille ici. Dire que la maman a essayé d'abandonné son p'tit têtard. Tu peux l'croire ? On va te changer, ça sera toujours ça de gagné. Puis j'irai te la chercher si elle décoince toujours pas.
Ouais, ouais je sais, fait faim, tout ça. Tu sais si John avait son troupeau de mouton on aurait surement pu te nourrir. Bien sur c'est un si et ça te fait une belle jambe mais..."

Matthias s'éloigna en monologuant avec Sarah avec la ferme intention de la recoucher, laissant Naïma se débrouiller un peu avec son cas de conscience.

Nombre de messages : 748 Date d'inscription : 07/07/2008

En sentant le bras autour de ses épaules, Onze soupira. Il était revenu, il était près d'elle et il ne la quitterait pas. D'une voix étranglée elle murmura :

Henri...

Elle tourna légèrement la tête pour l'observer et, d'abord effrayée, ne le reconnut pas. Les cheveux étaient noirs également mais c'était bien là leur seul point commun...
Alors, la panique faisant place à la dure réalité, les larmes affluèrent à nouveau aux yeux de Onze, dont la conscience redevenait un peu plus claire...

Elle pleura longtemps dans les bras de Naïma, bafouillant de temps à autre le nom de l'homme disparu, jusqu'à ce qu'un éclair de lucidité vint la frapper :

Où est ma fille ?

Comment avait-elle pu oublier Sarah ? Comment avait-elle pu l'abandonner ? Mais après tout, Henri les avait bien abandonnées toutes les deux...

Avec l'aide de Naïma, la jeune femme se releva et rentra enfin sous sa tente pour y trouver Matthias et le bébé. Avec une délicatesse coupable, Onze prit doucement la petite dans ses bras, déposa un baiser sur son front puis dévisagea Naïma et Matthias de ses yeux maintenant sans lumière :

Sortez d'ici. Laissez nous. Vous m'avez pris Henri, mais vous n'aurez pas Sarah.

Avait-elle compris ou bien lâchait-elle ces quelques mots sous le coup de la douleur, il était impossible de le savoir. Toutefois, ils eurent la certitude qu'elle avait repris ses esprits lorsqu'elle déclara d'un ton froid :

Que personne ne touche au corps d'Henri. Personne. A moins de finir comme lui.

Nombre de messages : 1225 Date d'inscription : 08/06/2008

Matthias haussa les épaules en s'exclaffant:

"Ha ! Ouais ouais on prend note. En attendant, il serait bien mieux sous sa tente qu'exposé au charognards."

Il se rapprocha d’elle, plongeant son regard au fond du sien. Le ton de la jeune femme n'était rien en comparaison de celui que le jeune homme employa pour lui souffler.

« Ne t’avise plus d’essayer de l’abandonner. »

Sur quoi il s’inclina profondément avant de tourner les talons pour aller ranger le cadavre à l’abri.

Naïma ne dit rien, ni n'exprima quoique ce soit.
Onze l'avait laissé la consoler.
Puis elle l'avait accusé.
Le paradoxe était grand. Mais tout n'était pas complètement illogique.

Elle se contenta de sortir de la tente, sans rien dire, laissant la jeune maman avec sa fille.
Elles avaient à pleurer le même homme, pour pouvoir se relever ensembles.

Mais en sortant, Naïma retourna auprès du corps d'Henri.
Elle respecta le vœux de Onze, et ne le toucha pas.
Mais elle s'accroupit à ses cotés pour lui souffler quelques mots.

On aurait pu s'apprécier, toi et moi. On était même partis pour.
J'espérais tellement de ton enseignement ... Finalement, tu seras parvenu à m'inculquer certaines choses. Je me suis endurcie, tu vois ...

Elle se releva, et retourna vers son campement.