Retour de vacances

Searclaw leva la tête, et sortit de ses rêveries. Les choses revenaient. Les bonnes choses, celles qui l'aideraient à survivre dans ce monde dévasté. Il ne pensait pas avoir eu plus de quelques secondes de retard sur Fawkes ou Gray pour repérer le mouvement dans la plaine qui leur faisait face. Un sourire illumina son visage, soulagement et bonheur. Les silhouettes approchaient, les visages connus, presque familiers pour certains. Le jeune homme se redressa du rocher sur lequel il était assis, et déplia ses jambes engourdies par le froid. Il hocha de la tête en direction de ses deux camarades, toutes dents dehors :

- Messieurs... Merci pour votre compagnie, ces derniers jours. Gray, merci d'avoir cru en Fawkes et moi-même suffisamment pour avoir tenu à m'accompagner. Je l'oublierai pas. Et Fawkes, camarade, merci d'avoir écouté la voix de la raison. Je crois que ce petit voyage initiatique a posé les bases de quelque chose d'important. Je suis heureux d'être ici avec vous.

Sautant du morceau de granit usé, le jeune homme réajusta son béret et se dirigea vers les Infidèles, qui avaient entrepris d'ériger un campement un peu plus en contrebas. Même la vie de nomade pouvait parfois laisser filtrer la sensation de rentrer chez soi...

Gray répondit à Searclaw d'un sourire avenant et d'un faible hochement de tête, puis le regarda s'éloigner vers les Infidèles affranchis. Il se tourna ensuite vers Fawkes alors que Searclaw prenait de l'avance.

"Désolé de t'avoir fait revenir. Mais je me serais pas pardonné de te laisser mourir seul... Si près du but."


Gray marqua une pause, son esprit remontant le cours de sa mémoire jusqu'au souvenir vague d'un bien étrange trip que Fawkes et lui avait partagé dans une quête veine de rédemption, il y a de cela plusieurs lunes dans les rues d'IronWood.

"Te souviens tu pourquoi tu voulais voir la mer?"

Fawkes contempla le petit camp sur la plaine, comme un nid de guêpes dans lequel il aurait à fourrer les mains nues. La silhouette de Searclaw avalait la distance qui le séparait des Affranchis à un rythme joyeux.

- Ne soyez pas désolé d'avoir fait ce que vous croyez être bien, ne regrettez que vos erreurs, Docteur, dit-il d'un air absent, sans quitter le camp des yeux.

A la charge de Gray et de Searclaw d'estimer qu'elle était leur erreur. Le laisser seul ou le ramener. A la question de son ami, il inspira profondément l'air pur, encore glacé. Un plonger s'apprêtant à une profonde plongée en apnée.

- Je voulais voir la mer pour y trouver la paix avec mon Âme, dit-il doucement, sans chercher à savoir si Gray savait le surnom qu'il donnait alors à Tama. Ce qu'était devenue Omega était bien différent de ce que j'en avais connu. Mais, surtout, Tama ne s'y sentait plus chez elle. Pour ma part, mon foyer était entre ses bras. Nul part ailleurs.

Un peu plus loin, un Milan poussa un cri de victoire en entrainant, broyé entre ses serres, un pauvre rongeur qui n'avait pas su s'abriter du rapace.

- Merci Docteur, d'avoir été là et de l'être encore. Cela va être compliqué, maintenant.

Searclaw atteignit enfin le camp. Fawkes regarda enfin Gray.

- Nous y allons ? demanda-t-il avant de se diriger à longues enjambées vers les Affranchis les mâchoires serrées, peut-être pour empêcher certains mots de vivre leur vie.

Gray sourit aux paroles de Fawkes, il avait la sensation de remuer le couteau dans la plaie, mais ce n'était que pour mieux le retirer plus tard. Il répondit à Fawkes en accélérant le pas. Il se dirigeait maintenant tout deux vers le campement. Gray n'était pas plus ravis que çà d'y revenir, même s'il avait conscience que le groupe lui offrait la sécurité, il ne s'y sentait pas non plus à sa place. Ou peut être n'avait il jamais cherché à s'en faire une. L'idée effleura Gray mais il ne s'attarda pas plus longtemps à ronger du noir. On lui avait promis un ragout pour son retour et la rencontre avec l'étrange caravane donnerait surement lieu à une agréable soirée.

Searclaw pénétra dans le campement, comme s'il ne l'avait jamais quitté. Sans fanfare, mais d'un pas décidé. L'odeur familière du tissu mouillé et de vieux cuir. Les ustensiles de cuisine. Tout le matériel de récupération. C'était agréable que le campement ressemblait toujours au campement. C'était rassurant. Naima fut la première à le saluer, et le jeune homme respecta son silence, se contentant de plonger ses yeux dans les siens en la gratifiant d'un hochement de tête. Ce fut à ce moment que le corps survolté d'Alicanta le percuta de plein fouet, et il s'étonna un moment d'être encore debout après la charge énergétique de la jeune vénézuelienne. Le désert avait réveillé des muscles dont il avait oublié l'existence. Searclaw pouffa tout en profitant de l'étreinte chaleureuse, et murmura avec un sourire en coin :

- Moi aussi je suis content de te voir Ali.

Le sentiment d'avoir trahi quelque chose en lui l'envahit à mesure qu'ils avançaient vers le camp. Sensation d'autant plus déstabilisante qu'il n'arrivait pas à savoir qui ou quoi il avait trahi.

Son regard croisa celui de Naïma l'espace d'une éternité. La trahison se roula en une boule dure, sèche et il passa en silence. Ses pensées s'entrechoquaient comme des frelons fous, produisant des gerbes d'étincelles douloureuses.

Il haussa un sourcil étonné devant l'accueil d'Alicanta, mais passa à côté d'eux silencieux comme un de ses fantômes, peut-être par pudeur, pour se trouver un endroit tranquille où poser ses affaires.

Déjà le camp s'établissait avec la rapidité de l’habitude. Matthias, sourire freedent aux lèvres, regarda les hommes arriver et afficha un air plus narquois que jamais. S’approchant de Searclaw et Gray, il s’exclama :


« Messieurs ! Comment vous portez-vous ? J’espère que ces quelques lunes de jeun vous furent bénéfiques. Pouvez-vous accepter un humble repas pour vous requinquer ou cela est-il contraire à l'issue de votre retraite spirituelle ? Est-ce jour maigre pour Monsieur Fawkes ? Se nourrit-il d'autres choses que de racines ?
Il faudra m’indiquer quelles sont vos nouvelles dispositions, n’est ce pas ? Je ne voudrai surtout pas commettre d’impaire… »

Et le jeune homme de les fixer tour à tour avec une expression soudain très sérieuse et un peu inquiète.

Fawkes se contracta au contact de la main sur son épaule. Il se tourna légèrement pour voir qu'il s'agissait d'Alicanta, et lui sourit, soulagé qu'il s'agisse d'elle. Il ne savait pas encore bien comment il réagirait face à... Naïma ou Onze.
Il voyait cette dernière, derrière Ali', maussade, et Matthias parlait trop fort. Comme d'habitude.
Il se releva en conservant la main de la vénézuélienne entre les siennes.

- Pardonnez ma mise défraichie voulez-vous ? Et merci pour votre accueil mademoiselle Alicanta, dit-il d'un ton chaleureux. Mais ce voyage n'est pas encore fini, n'est-ce pas ? Il reste encore du chemin à parcourir.

Il l'entraina à faire quelques pas dans le camp. La conversation était banale, certes, mais n'en avait que plus de valeur à son sens.

- Et comment cela se passe-t-il pour vous, dites moi ? demanda-t-il avec un sourire amical.

Searclaw observa longuement Matthias. De tous les Infidèles, il s'agissait bien de celui qu'il cernait le moins. Si le jeune homme avait retenu quelque chose de son passé, c'était bien que l'imprévisibilité était dangereuse. Il ne savait pas comment s'y prendre avec Matthias, et cela le mettait mal à l'aise. L'humour, le sérieux, tout glissait sur lui avec désinvolture. Searclaw eut néanmoins la satisfaction de lire une certaine perplexité dans les yeux de son interlocuteur. Pourquoi, il n'en savait rien. Il s'inquiétait sans doute de ce que pouvait cacher le retour inexpliqué de Fawkes. Searclaw sourit à son tour, principalement de ce que cette inquiétude révélait de Matthias :

- Matthias ! Content de te revoir. Le jeun porte effectivement son lot de changements et de conseils, mais j'avoue volontiers qu'un bon bol de quelque chose de chaud me ravirait. Tout comme mes compagnons, j'imagine. Les racines ça devient vite ennuyeux, ça manque de protéines. Rassure toi, nous n'avons rien changé en particulier à notre régime alimentaire... Je te remercie de ta sollicitude, mais je m'excuse, j'ai d'autres personnes à aller saluer.

Sans attendre de réponse, Searclaw laissa Matthias en compagnie de Gray, pour se diriger vers Onze.

Attentif aux paroles de Naima, Searclaw attendit que cette dernière lâche prise avant de hocher de la tête. Le jeune homme avait beau ne pas savoir quel regard porter sur la meneuse des Infidèles, il n'empêche qu'il savait reconnaitre un conseil avisé quand il en entendait un. Un regard de compassion pour Onze par dessus l'épaule de Naima. Puis il se recentra sur son interlocutrice, avec un demi-sourire étrange aux lèvres :

- Tu as parfaitement raison. C'est dans ma nature, j'y peux rien. Je sais même pas si j'attendrais quoi que ce soit des autres, si j'étais à sa place. C'est juste qu'elle a mal, et que j'aimerais qu'elle aille, mieux. Mon coté égocentrique, sans doute de croire que je peux toujours tout changer...

Le jeune homme secoua brièvement la tête. Il se remémora l'échange radio qu'il avait eu avec Naima, juste avant son retour, et à ce souvenir, il se sentit envahi d'une gêne. Comme s'il se sentait coupable d'avait paru plus dur qu'il ne l'aurait voulu. Il sourit à nouveau, ses yeux hésitants fixant tantôt le sol, tantôt ceux de son interlocutrice :

- Et toi... ça va ?

Le jeune homme hocha de la tête. Le ton et l'attitude de Naima la trahissaient, mais la question dictait la réponse, la plupart du temps. Searclaw s'empara doucement de l'avant bras de la jeune femme, hésita quelques instants avant murmurer :

- Ce que j'aimerais donner à Onze vaut pour toi aussi. N'hésites pas, Naima. L'offre tient.

Searclaw releva la tête, et inspira profondément, avant de repartir d'un ton plus banal :

- Au fait, t'as pris soin de Cinoque durant mon absence ? Je l'ai pas encore vu....

Gray accueillit Matthias avec un sourire ambigüe, il ne savait pas ce que ce dernier préparait mais il imaginait déjà une de ces joutes orales incohérentes dans lesquels Matthias avait le don de l'emmener.

"Fawkes n'a pas changé son régime alimentaire. Nous prenions juste un peu l'air. Tu sais... Respirez le grand air tout çà."

Gray se crispa, parcouru d'un étrange spasme, intérieurement, il sentait une faim grandir mais pas celle de son estomac...

"Mais s'il est question de mon appétit à moi, je mangerai bien quelques psylos..."

Gray transforma le sourire ambigüe qui était sculpté sur son visage en une expression plus sincère et conviviale... Il se souvenait comment Matthias avait pu se montrer prompt à lui offrir une infusions aux débuts de leur voyage et il cherchait à savoir si cela était encore vrai.

Chacun allait et venait à ses retrouvailles. Alicanta, elle, était partie saluer Fawkes. Elle fut étonnée de son invitation à faire quelques pas près du campement pour converser, mais ce qui la surprit le plus, fut sa question :

Citation :

« Et comment cela se passe-t-il pour vous, dites-moi ? »

Elle aurait pu répondre des banalités, en expliquant que pour passer le temps, ces derniers jours, elle avait dessiné et fait pas mal de progrès en herboristerie. Mais Fawkes lui inspirait le respect, parce qu’il ne jouait pas, et qu’il ne se cachait pas derrière un personnage. Il était lui, lui et son fardeau, lui et sa violence, lui et ses questions, lui et sa froide lucidité.

Et bien mon cher Fawkes, de vous à moi, j’ai rarement vu un spectacle aussi déroutant. Aux frontières de l’absurde, nos trois personnages principales se cherchent ou se confortent dans leur rôle, un va et vient insolite entre eux trois, qui laisse peu de place à l’harmonie. Le chaos remplit le vide pour certains d’entre nous, ce n’est pas le chemin que je préfère.

Elle s’arrêta, et coupa sa respiration. Elle hésitait.
Elle reprit, droite comme un soldat, elle planta son regard dans celui de Fawkes, elle voulait qu’il sache.

Pour tout vous dire, j’ai été à deux doigts de vous rejoindre, vous et Searclaw, mais vous êtes là, et j’en suis heureuse.

Fawkes écoutait Ali' avec attention, gravement, le regard perdu devant lui. Comment se faisait-il qu'autant d'entre-eux soient ainsi perdus.

Chaque chose qui se passait au sein du groupe semblait être le résultat d'une réaction en chaine qui se déroulait lentement, comme un verre qui tombe et dont on a l'impression de pouvoir le rattraper avec l'inéluctable fatalité, avant de se rendre compte que le fait de pouvoir faire quelque chose pour l'empêcher nous a hypnotisé le temps d'une seconde et fait rater la seule occasion réelle de changer le cours des choses.
Il semblait que, tous ensemble, ils auraient pu s'entendre. Mais chacun restait enfermé dans la fascination d'un verre qui tombe.

Il s'arrêta et se perdit dans son regard quand elle se planta devant lui.

- Je suis heureux de constater que vous, au moins, avez su rester raisonnable et ne pas suivre un fou qui se perd dans le désert, dit-il avec un sourire d'où pointait une petite ironie. Et puis... vous avez Jack, non ?

Lorsque Searclaw s'était éloigné, Matthias avait repris son air railleur, assez content de sa prestation.
Aux propos du Doteur, le jeune homme se fendit d'un large sourire. Passant son bras sur les épaules de l'homme, il l'entraina vers le brasier.


"Haaa, Doktor, en vérité tu me fais plaisir ! Il se trouve justement qu'il me reste quelques jolis spécimens. Un peu sec, je l'accorde volontier mais enfin, quelques uns tout de même.

Sais-tu qu'un proverbe Ashanti disait; "Quand le chasseur rentre avec des champignons, on ne lui demande pas des nouvelles de sa chasse." ?"


Il coula sur Gray un regard malicieux et lui mit entre les pattes la pochette dans laquelle il serrait sa drogue.

Quand Cinoque s' aperçu que son ami était de retour, il se leva d'un bond et courru le rejoindre.Il regardait tout le monde dans le campement, en montrant Searclaw du doigt.

-Searclaw est rentré, Searclaw est rentré.

Cinoque leva les bras en l'air et se mit à faire une danse improvisée en l'honneur de Searclaw.
Au bout de quelques minutes, il s'arreta de danser pour le serrer dans ses bras.

-Cinoque savait que Searclaw reviendrait; Cinoque savait. .