Au creux de l'oreille

Jack qui se réchauffait au coin du feu frémis de plaisir quand Alicanta frola par surprise son oreille de ses lèvres, mais ce qu'elle lui dit le laissa interloqué. Il se retourna mais déjà elle était partie, naïade ingénue. Il se fit une roulée et une tasse de thé et se mis à réfléchir en regardant le feu. Au bout de 10 minutes il partit la retrouver.

Tu me tourmentes agréablement, tu sais poussin !
« Crois-tu que l’homme peut vivre sans être égoïste ? » C'est une question subtile, je vais essayer de bien y répondre ! Il lui fit un clin d'oeil et un sourire, il se prenait au jeu, mais gardait ce petit rien d'autodérision en permanence.

D'abord si on considère que l'égoïsme est l'attitude d'une personne qui oriente uniquement ses actions ou ses idées pour son propre intéret, sans prendre en compte les nécessités d'autrui; on peut se douter que çà pose un problème d'un point de vue anarchiste. Pourtant pour les libéraux c'est l'égoisme individuel qui fait le bien commun. C'est l'idée que le boucher fait de la bonne viande non pas par amour du travail ou de ses clients mais bien pour capter ces derniers. Au niveau de la société c'est l'égoisme maximal des individus qui en créant leur bonheur individuel assurera par addition le bonheur de la société . Pour les collectivistes à l'inverse, l'égoisme et l'individualisme qui va de pair sont des perversions, l'individu n'est rien à coté du groupe glorifié et doit se sacrifier pour lui.
Je pense que ces deux théories ont tort. La question de l'égoisme c'est finalement celle de la vie en société. Pour moi l'individu est la base de tout, c'est l'idée des droits de l'homme, il est sacré. Le problème de la doctrine libérale c'est que déjà elle est anti-sociale et irréaliste, personne ne peut être totalement égoiste sous peine d'être complètement ostracisé. Ensuite cette théorie oublie la notion de conflit. Et là il est important de voir que le groupe influence et change aussi les individus. C'est là que sa forme d'organisation est importante. Si c'est une forme hiérarchique, élitiste, les gens au sommet vont tout faire pour garder leur place et la légitimer, se faire croire supérieurs. Les gens à la base eux n'auront que comme ambition d'atteindre cette place et ils vont adopter la compétition de tous contre tous, pour esprérer rejoindre un jour ceux au sommet en grimpant sur la tête de leurs voisins, au lieu d'être unis ils seront atomisés. Ils sont éduqués par ces valeurs et agissent en fait contre leur intéret. Là l'anarchisme est différent du communisme car il ne vise pas un remplacement des maitres par de meilleurs, mais un dépassement de cette logique. Dans la logique de rapport de force, la vision libérale oublie donc que tous les individus n'ont pas les mêmes moyens, et il y a de plus un phénomène de concentration du pouvoir à l'oeuvre. Si un employeur peut se permettre d'être égoiste en captant les gains de productivité sans augmenter les salaires, son employé lui ne peut pas se plaindre face aux hordes de chomeurs qui toquent à la porte. Donc déjà on peut dire que l'égoisme est encouragé car c'est simplement une valeur fondamentale du système capitaliste. On peut ajouter que la misère ou la carence encourage la jalousie, même si le Désir est éternel et incomblable comparément au Besoin. Cependant le capitalisme est basé sur la rareté, car elle garantit les prix, et sur la propriété des moyens de production. Même quand on arrive à une situation d'abondance comme avec le téléchargement qui permettait la culture libre et gratuite pour tous, on essaie de revenir à la rareté avec le blocage juridique organisé par les distributeurs de musique. Lafargue il y a un siècle expliquait dans Le droit à la paresse qu'en faisant le tri dans ce dont on a vraiment besoin, en faisant l'arbitrage travail/loisir démocratiquement, en le produisant grâce à nos moyens modernes, on pourrait se contenter d'une poignée d'heures de travail par jour!
On pourrait ajouter envers l'égoisme qu'il créé même des effets pervers quand chacun maximise rationellement son intéret individuel: l'exemple courrant est celui des crises boursières, mais un simple matelas abandonné sur l'autoroute créé un bouchon, et chacun préfère faire la queue et le dépasser plutot que de s'arreter le ramasser au profit des autres derrière car il a déjà perdu trop de temps.
Une société anarchiste a pour base de délivrer les gens du salariat, et peut être du travail. L'idée c'est que l'intéret commun soit débattu par les gens qui sont concernés. Si une entreprise est gérée par l'ensemble de ses ouvriers ils peuvent agir dans l'intéret de chacun sans se tirer dans les pattes. L'idée est de Bakounine et est que la liberté ici n'est pas restrictive comme un code de la route, mais au contraire exponentielle car elle ne s'apprécie qu'en commun et s'enrichit de la liberté des autres. Proudhon lui explique que la réalisation du collectif est supérieure à la simple addition des réalisations individuelles, c'est un peu le 1+1=3. Donc l'idée c'est que l'individu soit responsable et défende ses intérets, mais dans une forme démocratique il ne pourra pas user de coercition sur les autres, libéré du besoin il n'aura plus à sombrer dans le darwinisme animal pour survivre.

Il s'arreta tout d'un coup, se rendant compte qu'il s'était un peu enflammé, il rougit et regarda Alicanta, guettant sa réponse.

(HRP désolé de l'intrusion, excellent post Jack. Vraiment chapeau. Toutefois tu survoles le fait que les communistes et les anar ont le même but, car le système communiste pour Marx était un système transitoire. Sinon, bravo camarade, ça fait plaisir.)

Arf, j'avoue que mes références sont assez dépassées mais j'ai fait mon éducation sur ces vieux bouquins. Peut être que je vis dans le passé, ou pire que je suis nostalgique d'un monde qui n'a jamais existé que dans les rêves d'une poignée de gens.
Ce que je pense, c'est que l'idéologie n'est pas une fin en soi, et que la personne qui sacrifie les nuits calines avec son amie ou même les soirées de fête entre amis pour la Cause n'a rien compris. Je crois que la bonne vie doit être vécue ici et maintenant !
Il ne faut pas être moine soldat, et non plus sur-consommateur inconséquent. Mais un bon repas, une discussion passionnante, une franche rigolade ou une histoire d'amour, c'est déjà révolutionnaire.

En tant qu'athée j'essaie de ne rien remettre au lendemain, de vivre une vie aussi belle que je le puisse. Mais aussi de vivre honnêtement sans utiliser les autres pour mon simple plaisir, et en les aidant de mon mieux.

Je crois que c'est Louise Michel qui disait que l'Homme nouveau, on l'aura quand tout le monde aura un toît, des vêtements et à manger à sa fin.

Et toi, qu'en penses tu ? Quelle éthique, quel projet as tu dans la vie?