Nuit sans sommeil

Si la nuit s'annonçait calme pour certain, elle était déjà bien agité pour d'autre. A bonne distance du campement, le veilleur put apercevoir une silhouette qui rentrait vers le campement. Quelques minutes après une seconde émergea des dunes.

L'ombre lunaire de la tente dénonçait l'isolement d'Henri et le point rougeâtre de la cigarette qui accompagnait la silhouette s'avança vers lui. Le veilleur invisible allait être importuné.

Toute perspective de tranquillité s'envola alors car Henri finit par reconnaitre Matthias.... Matthias qui était, en ce début de nuit, particulièrement ébouriffé et débraillé.


Sans gêne, il s'assit aux côtés d'Henri. Mais contre toute attente le jeune homme se révéla relativement calme et posé.
Après un moment de silence accompagné d'un soupir de satisfaction à peine perceptible, Matthias demanda à Henri sans préavis:


" Cet homme que Naïma et toi avez connu, c'lui dont vous avez parlé lors de votre première conversation à la radio. C'était qui ? "





[J'espère que tu m'excuseras d'avoir détourné ton beau rp. ]

Le question fut rapide, brève, lancée dans un calme étonnant pour l'interlocuteur qu'était Matthias.

Depuis la seconde où sa silhouette s'était détachée de la pénombre quasi-fantomatique du désert, Henri l'avait fixé sans broncher. Mais cette question lui fit plisser les yeux, et baisser le regard, alors qu'un léger sourire cynique prenait quartier sur ses lèvres fines.

Il le savait, il l'aurait parié. A sa manière d'en parler, de se comporter, de se tenir devant elle... Matthias et Naïma... la relation était plus qu'amicale.

Henri devinait une certaine inquiétude dans le phrasé de Matthias, que ce dernier tentait de dissimuler dans un calme inhabituel. L'Homme de la Nuit prit alors tout son temps, sortant sa montre-gousset pour y regarder l'heure, observant le ciel, tout ça dans un silence assourdissant. Il le taquinait d'une manière un peu perverse, se vengeant des petites remarques amusées que Matthias lui avait précédemment lancé.

Puis, au bout de quelques instants, Henri prit la parole d'une voix posée :

"un dénommé Eugène. Une vieille connaissance de jeunesse..."

Il s'interrompit, détournant la conversation sans crier gare, laissant sa réponse en suspens, pour mieux faire languir son interlocuteur :

"Naïma et toi, êtes-vous amant ?"

Bon joueur quoique légèrement surpris, Matthias partit d'un rire franc avant de répliquer:


"Tu ne réponds pas vraiment à ma question M'sieur Henri le Sombre."


Un sourire amusé aux lèvres sans que l'on puisse savoir si la question l'embarrassait ou le touchait réellement, il prit également son temps pour répondre.


"Elle m'a sauvé la vie, c'est mon ange salvateur. Mais si t'as des vus sur elle... elle est libre de faire ce que bon lui semble."



Se tournant vers Henri et sans se départir de son sourire, il le fixa d'un air étrange attendant toujours une réponse plus développée...

"Tu ne réponds pas vraiment non plus à la mienne, Monsieur Matthias le Volubile."

Henri soutint le regard interrogateur de Matthias, un sourire pincé aux lèvres, les sourcils froncés, faisant planer sur la scène un sentiment de défi et d'intimidation amicale durant un court instant. Autour d'eux, la nuit se faisait plus sombre, la lune se cachant derrière de frêles nuages taquins. Il essayait de jauger le jeune homme, de ressentir en lui une gène, un inconfort dérobés au cours de ses quelques mots... Mais Matthias demeurait inébranlable dans sa bonne humeur, ne laissant apparaitre aucun frémissement, aucune mimique, aucun tic...

Henri ferma alors les yeux :

"Ce serait prétentieux de ma part de prétendre avoir des vues sur quelqu'un : je suis trop fatigué pour cela..."

Puis, beau-joueur, poursuivit, d'un ton toujours aussi calme

"Que dire de plus sur Eugène ..? Je l'ai connu très jeune. Enfin, connaitre est un bien grand mot... Disons qu'on a suivi la même éducation. C'était un homme strict et rigoureux, bien plus brillant que moi. Un muet... Enfin je crois."

Il se tut quelques secondes, puis reposa à nouveau son regard sur Matthias

"Voilà. Je ne peux malheureusement guère t'en apprendre plus... Tu m'en excuseras"

" Un muet?!"

L'exclamation de Matthias lui échappa manifestement comme s'il comprenait soudain quelque chose ou comme s'il était juste fou... au choix.

D'un bond il se releva, s'étira puis adressa un nouveau sourire ambigu à Henri. Quelque chose qui oscilla entre le doute, la reconnaissance et la moquerie. A ce moment là il affirma:

" Moi j'te crois suffisamment de charme et de mystère pour que certaines femmes aient des vues sur toi en tout cas... "


Tendant la main à Henri, il enchaina en le remerciant:


"Merci M'sieur Henri... c'est déjà gentil d'avoir bien voulu m'en parler. "

Lorsque Matthias se releva d'un bond, Henri posa sur lui un regard vif et méfiant, contrastant avec l'habituelle absence de celui-ci. La réplique de l'Ebouriffé lui arracha un petit rire amusé.

"Merci du compliment, même si ce n'est pas vraiment l'effet recherché !"

Par contre, son attitude devint beaucoup plus froide et distante lorsque la main de Matthias lui fut tendu. Les siennes restèrent bien à l'abri de ses poches, n'adressant pour réponse qu'un léger mouvement de tête et un sourire pincé, presque simulé.

"Heureux de t'avoir éclairé... J'espère que ta nuit n'en sera que plus tranquille.

Henri baissa alors les yeux. Ceux-ci devinrent flous, témoins furtifs d'une valse de pensées et d'émotions qui envahissaient son esprit. Un sentiment de malaise prenait possession de lui... Il ressentit une sorte de menace, d'inconfort. Quelque chose l'avait géné dans cette discussion, dans le paraitre de Matthias, et il n'arrivait pas à mettre le doigt dessus... Une ambiguité entre son attitude et ses mots ? Une incompréhension devant la diligence de sa question ? Henri ne savait quoi penser...
Il se promit alors de demeurer prudent, non qu'il ne doute vraiment de Matthias. Juste par instinct...