Enroulé comme un chat au coin du feu, Searclaw rêve. Le jeune homme a mis un long moment à s'endormir, le corps pulsant, inondé d'adrénaline et de pensées noires, résultat naturel des violents conflits intérieurs qui ont ravagé le groupe des Infidèles. Sa bouche se plisse en un sourire presque carnassier, tandis qu'il se tourne dans son sommeil, à la recherche de plus de chaleur. L'adrénaline est encore là, latent dans son sang comme un serpent qui sommeille. L'adrénaline, un vieil ami, qui courbe sa bouche en un rictus mêlé, de plaisir et de tristesse.
Searclaw rêve. Sous ses paupières fermées, ses yeux s'agitent, parfois un mouvement involontaire des membres, car le rêve est puissant. Le rêve est puissant parce qu'il vient du passé. Avant l'obscurité, et la folie. Le rêve vient d'avant tout cela. Des ombres se meuvent, des échos, des visages déformés par le temps. Les grands arbres qui se penchent comme pour l'écraser. Inspiration. Expiration. Souffle. La pluie frappe un sol meuble si fort que les gouttes rebondissent. Searclaw est là, parmi les cris et le feu, quelques bribes de souvenir réanimés par l'adrénaline et la discorde.
Le rêve s'intensifie, s'accélère comme un trip. Flux et reflux, sur une mer d'images et de sons. Des échos, des sourires, de la crasse. L'acier composite. Le rythme. La cadence. Un rire fou, s'étire comme un gargouillis, s'éteint. Quelqu'un hurle en espagnol. Ou est-ce du portugais ? Des bâtiments sombres, la forêt. Encore des échos, paroles rapides, de la cocaïne sur la pointe d'un couteau. Inspiration, expiration. Encore. Plus vite. Plus fort. Et une, et deux. Frappe. Frappe. Frappe.
Un visage se penche, plus net, et hors de la brume interpelle le rêveur. Je suis mort. Je suis mort. Je suis mort. Il lui manque la moitié du visage. Une vague quelque part, la netteté revient, sur une armée de figures grimaçantes. Le rêveur se tord. Un chœur reprend de plus belle. Nous sommes morts, nous sommes morts, nous sommes morts. Les visages se rapprochent. Spirale. Tournent, s'éclipsent les unes les autres. Inspiration. Expiration. Souffle. Souffle. Souffle. Souffle. Coupable.
Searclaw se redresse brutalement sur sa couche, les poumons brulants. Autour de lui le camp, les ombres endormies, et les braises. La bouche du jeune homme, grande ouverte, n'émet aucun son, tordue par un cri silencieux. Au dessus de lui, les nuages et les étoiles. L'air froid qui entre et chasse les derniers fantômes oniriques.
L'adrénaline, le vieil ami est là... Cherche à le sauver de ce qui n'est plus. Hormis dans les regrets. Et les rêves. Tremblant, Searclaw passe sa main dans ses cheveux emmêles, et ferme ses yeux noirs en inspirant profondément. S'en échappent deux larmes glacées, qui perlent en silence sur le sol gelé.