Et si... [lune 157]

L'après midi touchait à sa fin, et tout le monde était bien arrivé à IronWood. Dans les murs de la cité, une multitude de souvenirs se bousculait dans la mémoire de Onze, mais malgré tout, son esprit était préoccupé par une toute autre chose...

S'il y avait bien une chose que la jeune femme détestait, c'était tout ce qui touchait de près ou de loin au milieu médical. Elle avait déjà refusé catégoriquement de consulter les médecins du SMI, et pourtant la voilà qui cherchait en cette heure Naïma.
En effet, depuis plusieurs jours, Onze n'était pas au mieux de sa forme et pour la première fois, elle ne pouvait pas le mettre sur le compte de sa maladie...

Elle trouva enfin celle qu'elle cherchait et l'entraina à l'écart de tout bâtiment et loin de l'agitation de la ville. Ce fut tout en simplicité qu'elle commença :

Naïma, j'ai besoin de toi. Je sais bien que toi et moi, on est pas vraiment amies mais je ne savais pas qui d'autre consulter.

Une légère tension animait Onze, peu à l'aise de se dévoiler ainsi...

Ce sont de tes talents en médecine que j'ai besoin. J'aurai pu aller voir le Docteur Gray ou Amy, mais toi... Enfin, on voyage ensemble alors peut être que tu sauras comment m'aider...

Elle s'alluma une cigarette.

Bon. Depuis plusieurs jours, je sais pas exactement combien, peut être une dizaine, j'me sens pas bien. Pas tout le temps. C'est surtout la nuit, je dors mal, et le matin. J'ai souvent des nausées ou je suis un peu barbouillée. Je comprends pas pourquoi, je mange comme vous...

Il faut que tu saches une chose. Je suis malade. Je le sais depuis très longtemps, j'ai quelque chose aux poumons dont on ne peut pas me soigner. J'ai de temps en temps des baisses de forme ou des crises de toux.

Mais là... C'est la première fois. Je ne sais pas si c'est lier, enfin je ne voies pas le rapport...

La jeune femme semblait réfléchir, sérieusement pour une fois.

Non, j'voies pas. J'ai mangé comme vous. J'ai rien fait d'exceptionnel ou de différent de d'habitude...

Une nouvelle cigarette fut allumée et elle reprit :

Je me couche peut être un peu plus tôt c'est vrai. Et j'ai l'impression de m'énerver souvent, comme lorsqu'on a dû vous attendre avec Jay. Mais c'est passager. Surement dû à la tension, revenir à Iron, tout ça...

Tu penses à quelque chose ?

Mes...

Onze ne put finir sa phrase, abasourdie par la question. Dans un geste presque inconscient, elle posa ses mains sur son ventre, et la douce fumée de sa cigarette dansait entre les deux femmes...

De nombreuses secondes s'écoulèrent ainsi, avant qu'elle ne reprenne, non sans difficultés :

Je sais pas... C'est... Ca... Ca a toujours été plus ou moins irrégulier en fait... Jamais un jour précis, parfois quelques jours de... différence...

Le silence s'installa à nouveau. Les mâchoires de Onze se crispèrent légèrement, comme si elle se retenait de craquer. D'une voix basse, elle lâcha :

Je suis désolée Naïma...

Elle ne rajouta rien d'autre, ne fit pas plus allusion à Matthias, et regarda la brune avec un regard quasi suppliant...

Onze secoua la tête plusieurs fois :

Non. Je ne resterai pas ici. Ni dans aucune autre ville.

Un pâle sourire éclaira son visage et elle se mit à fouiller dans le petit sac qu'elle trimballait toujours avec elle. De là, elle sortit un paquet de cigarettes, qu'elle regarda à la fois amoureusement et tristement, puis le tendit à Naïma :

Tiens. Gardes celui là, je te confierai les autres plus tard. Je crois qu'il vaut mieux que j'arrête un peu. Ou au moins que je diminue...

La jeune femme savait pertinemment que cela serait difficile, mais au fond d'elle, un mince espoir d'y arriver naissait. Elle regarda à nouveau Naïma, déterminée cette fois çi :

Je mettrai Matthias et Henri au courant bientôt. J'ignore lequel des deux pourrait être le père et ils le sauront. Mais cela importe peu. Ils ne me doivent rien, et j'assumerai seule. Ce n'est pas un problème pour moi...

Avec douceur et lenteur, elle passa sa main une nouvelle fois sur son ventre en soupirant...

Ce fut au tour de Onze d'être surprise par l'aveu de Naïma. Elle ne put s'empêcher de lui confier :

C'est étrange. Que tu veuilles prendre soin de moi je veux dire. Personne ne l'a fait avant toi, mis à part mon mari... Mais ça a été tellement court que j'ai l'impression d'avoir toujours été seule finalement...

Elle aurait aimé continuer, lui parler de Matthias, arranger les choses, lui dévoiler ce qu'elle ressentait pour un autre... Mais il était encore trop tôt pour tout cela et elle se contenta d'ajouter :

Je crois que nous avons beaucoup à apprendre l'une de l'autre...

On a longtemps pris soin de moi. Et puis un jour, je me suis retrouvée à prendre soin des autres. C'était un peu mon rôle au Passage, en temps que membre du conseil, et responsable des réserves et du plan de production. Et puis, je suis guérisseuse. Depuis, c'est devenu une habitude. Je ne peut pas m'empêcher de surveiller mes compagnons pour être sûre que tout va bien.
Et d'autant plus quand je les apprécie.

Naïma était gênée de cet aveu. Jusque là, elle n'avait jamais eu à dire ouvertement aux gens quand elle les appréciait. Mais la situation avec Onze était particulière.
Un jour, peut être que cela serait de l'histoire ancienne, et qu'elle pourrait regarder la jeune femme sans aucune gène, sans cet arrière-goût de rancœur.

Oui, sans doute. Nous sommes très différentes toutes les deux.